Le 7 mars dernier, je suis allée Salle Cortot, dans le 17e arrondissement, entendre un récital placé sous le signe du «Baroque italien», organisé par Philippe Maillard Productions (vingt-septième saison). C’est toujours un bonheur de se rendre dans cette salle intime de quatre-cent places, née de la volonté du célèbre pianiste Alfred Cortot : souhaitant offrir aux élèves de l’Ecole Normale de Musique de Paris (adjacente), qu’il avait fondée en 1919, un lieu où se produire en public, il se tourna vers le pionnier du béton Auguste Perret (futur rebâtisseur du Havre).
Comme il l’avait déjà fait au Théâtre des Champs-Elysées, l’architecte prit soin d’habiller le béton armé brut, la structure stricte étant recouverte en l’occurrence de bronze doré et les murs de bois d’okoumé. On pénètre dans la salle rectangulaire (classée depuis 1987 monument historique) sur le côté, comme si on se glissait dans un instrument, les gradins en demi cercle faisant face à la scène occupant tout le côté droit. Pureté de la structure, caractère intime, couleurs de miel chaud, en font un lieu musical unique à Paris.
Anecdote : j’ai entendu un jour, il y a bien longtemps, Serge Gainsbourg raconter à la radio qu’étant allé écouter Alfred Cortot se produire après la guerre, il avait été scandalisé par la réaction du public, qui avait hué le grand artiste. Il ignorait bien sûr les compromissions avec le régime de Vichy dont on accusait le maître, et ne voyait que l’Art insulté, ajoutant avoir bien conscience que ce qu’il composait, lui, n’avait rien à voir avec le Grand Art. Mais ces temps sont révolus, et de nos jours plus de cent-soixante concerts se déroulent chaque année dans ce lieu à l’acoustique exceptionnelle, qui se prêtait merveilleusement, le 7 mars dernier, au chic duo composé de la mezzo soprano Léa Desandre accompagnée à l’archiluth (sic) par Thomas Dunford. Un jeune duo déjà consacré l’an dernier à travers la France et jusqu’à Washington, que l’on pourra entendre à nouveau dans divers lieux français les mois prochains.
J’étais fort curieuse d’entendre in loco cette nouvelle étoile consacrée l’an dernier, à vingt-quatre ans, révélation lyrique des Victoires de la Musique, après avoir figuré à vingt ans au sein de l’écurie du Jardin des Voix du maestro baroqueux William Christie. Rien de meilleur que le répertoire baroque pour former une voix, et je vous ai déjà parlé de cette jeune virtuose chérie de la critique (Pépites musicales dernier cri, 5 février 2018). Son programme incluait quelques tubes de Monteverdi et Haendel, dont les quatre brèves lignes de l’aria du «Serse» de ce dernier «Ombra mai fu», dans laquelle le roi de Perse célèbre l’ombrage de son platane favori !
Cet air magistral, ultra bref et ultra célèbre, interprété et enregistré par tous les gosiers baroqueux de la planète, Léa Desandre nous l’a resservi en deuxième bis sans me convaincre tout à fait. Certes, la technique est là, mais le timbre me semble un peu frêle pour une mezzo, surtout si l’on pense à des étoiles de première grandeur comme Cecilia Bartoli ou Joyce di Donato. Ou encore à la grandissime mezzo allemande Christa Ludwig dont on célèbre cette semaine le quatre-vingt-dix neuvième anniversaire, qui s’illustra dans Mozart avec maestro Karl Böhm, puis élargit son répertoire avec Karajan ou son grand ami Leonard Bernstein, dont on commémore cette année le centenaire (notamment à la Maison de la Radio le 18 mars).
Mais certes, Léa est encore bien jeune… En fait la délicatesse de la voix se mariait au mieux avec celle de son accompagnateur, le joueur de luth français Thomas Dunford, ayant participé à quantité d’enregistrements à l’âge respectable de trente ans. J’aurais bien voulu savoir pourquoi son instrument s’appelle un «archiluth» (plus de cordes ?), et s’il jouait de mémoire ou improvisait, car contrairement à sa partenaire, il se passait de partition. Mais il n’était pas difficile de reconnaître dans les sonorités emplissant le sobre espace l’ancêtre de la guitare, ou même du violoncelle.
Après ce rare moment, j’aurais peut-être dû, ce mois ci, m’en tenir aux cordes, et ne pas aller célébrer le centenaire de la mort de Debussy (que d’anniversaires !) en écoutant le très debussyste pianiste Alain Planès à l’Auditorium de Radio France le 11 mars dernier. Car hélas, je dois l’avouer, bien que très applaudi, Planès ne m’a pas fait planer dans ces Études pour piano, Livre II, ou ces Préludes pour piano, Deuxième livre. Était-ce moi ? Était-ce lui ? Visiblement, je ne me sentais pas in the mood. Pourtant je me souviens encore d’un récital de Philippe Bianconi au théâtre de l’Athénée en 2013, où l’intégrale des Préludes m’avait emportée vers de très lointains et très mystérieux territoires, apparentés au «Rivage des Syrtes» de Julien Gracq.
Mais pour revenir à ma passion des cordes, je m’apprête à découvrir bientôt une manifestation dont j’ignorais tout jusqu’à ce jour, «Le Printemps du Violon», festival international dont la troisième édition (affiche ci-contre) se déroulera à Paris du 21 au 31 mars prochains. Il s’agit, nous dit-on, de célébrer le violon sous toutes les coutures, non seulement par des récitals, mais aussi de pénétrer dans un atelier de lutherie, d’attirer les jeunes, de multiplier projections, conférences, visites, performances.
Les deux parrains étant Ivry Gitlis et Martha Argerich, cette alliance prestigieuse de talents nous promet de conjuguer archet et clavier, et de voir s’ouvrir des portes de lieux exceptionnels, tels le tout nouveau Centre Culturel et Spirituel Orthodoxe Russe aux flamboyantes coupoles ou la Maison de l’Amérique latine, comme d’autres encore plus secrets, tels la Salle Byzantine de l’Hôtel de Béhague à l’ambassade de Roumanie, le Temple de Pentemont, ou encore le Centre Culturel d’Azerbaïdjan. Tous situés dans le septième arrondissement.
On nous annonce aussi que la Russie étant le pays à l’honneur de l’édition 2018, le festival sera organisé en partenariat avec l’Ambassade de la Fédération de Russie en France, «et sera représenté par ses meilleurs talents (violonistes, compositeurs, interprètes…) et ambassadeurs de l’âme musicale russe.», cette dernière surlignée en gras ! Ainsi l’âme russe toute entière nous sera dévoilée, grâce notamment au légendaire Ivry Gitlis, né à Haïfa en Israël en 1922 dans une famille d’origine russe, et qui fut d’ailleurs en 1963 le premier artiste israélien à se produire en URSS.
Peu connu du grand public français, cette étonnante personnalité de feu et de flamme est comme on dit «un musicien hors normes» qui n’a suivi que son plaisir de jouer, notamment avec la grande Martha. Toujours aussi enthousiaste à quatre-vingt seize ans, il déborde de compliments à l’égard des deux directeurs artistiques Anton Martynov (russe) et Michaël Guttman (belge), violonistes de renom aux multiples talents. Ils nous ont concocté un programme des plus variés dans tous ces lieux du septième arrondissement, axé notamment sur de jeunes artistes.
Plusieurs manifestations se dérouleront au Centre Culturel russe (ci-contre), dont un concert donné par des Solistes de l’orchestre du théâtre du Bolchoï le 24 mars, alors que Martynov rivalisera le 29 mars avec le pianiste Nicholas Angelich dans Schumann, Franck, etc. Notre cher Nicholas, né aux États-Unis, arrivé sur nos rives à treize ans, va-t-il nous dévoiler un nouvel aspect de son âme tout imprégné de romantisme slave ?
J’aimerais ajouter que je regretterai l’absence, au cours du festival, d’une jeune pianiste russe installée à Paris que je suis depuis quelques années, Anastasya Terenkova. Mais on pourra l’entendre le 15 avril au Centre culturel russe, où l’on appréciera son jeu incandescent.
Lise Bloch-Morhange
Liens:
Salle Cortot
Site internet Lea Desandre
Maison de la radio
Festival Le Printemps du Violon
Billetterie en ligne sur le site Internet
Par email, contact@leprintempsduviolon.com
Par téléphone au +331 43 54 40 42 du lundi au vendredi de 10h à 18h
Récital Anastasya Terenkova le 15 avril au Centre Culturel Russe
Merci Lise Bloch-Morhange. C’est un plaisir de vous lire .
Ah ! Chère Lise,
vous qui êtes sensible aux destructions massives tibéro-delano-hidalguiennes, il ne faudrait pas oublier qu’à la place de ce nouveau machin poutinien, il y avait l’immeuble de la Météorologie nationale. Evidemment, c’était un vilain petit canard qui n’a pas suscité beaucoup de larmes et aucune critique du Vieux Paris pour qu’on l’abatte au profit d’une nécessaire cathédrale orthodoxe (on sait qu’en France, les orthodoxes doivent pratiquer les prières de rue faute de lieux de culte… je plaisante, bien sûr !).
Mais bon… Le bâtiment avait son charme administratif… Je suppose que dans notre belle époque ultra-libérale, supprimer les bâtiments publics ne fait pleurer que les nostalgiques du vivre-ensemble né du Conseil de la Résistance, c’est-à-dire de la subtile cohabitation gaullo-communiste…
Enfin bon… au moins la Salle Cortot aussi moche de l’extérieur que la météo nationale n’a pas subi l’ire qui a conduit à raser la maison de Sacha Guitry pour les mêmes problèmes d’eau de Vichy…
Cher Philippe,
Je me souviens parfaitement de ce bâtiment administratif pur produit des années cinquante que j’avais visité et qui ne manquait pas de charme. PHB
Eh bien moi aussi, chers Philippe, j’aimais beaucoup ce bâtiment, dont il reste une partie d’ailleurs si vous regardez bien, d’autant plus qu’il était situé juste en face d’un de mes restaurants-salons de thé favoris, à savoir « Les Deux Abeilles » (les meilleurs scones de Paris), qui résistent vaillamment.
Mais ne croyez pas que cette invasion poutinienne se soit accomplie facilement, la résistance fut longue et âpre, mais comme vous le voyez, la raison d’état l’a emporté, ce que je regrette.
Ce « chers » au pluriel me fait plaisir !
Merci pour l’adresse… j’ai hâte de goûter vos scones favoris !
Merci Chère Lise de ce magnifique article que j’ai partagé sur Facebook.
Toutes mes amitiés et au plaisir de vous revoir à l’occasion d’un concert.
Alain
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