Les statisticiens en ont fait un diagramme circulaire. Une infographie qui permet par exemple d’exprimer en volume, différentes représentations d’un même secteur. Si l’on rapporte ce même procédé au camembert lui-même, on relèvera que le camembert de Normandie, le vrai, moulé à la louche et au lait cru, ne représente que 4,5% du total. Il s’en vend 860 par minute selon un comptage effectué un après-midi par le site Planetoscope (1). Admettons qu’il faille 20 minutes à un amateur moyen pour en absorber un, cela fait 17000 unités qui passent à chaque séquence, du garde-manger au fond de l’estomac. Dérisoire autant que passionnant calcul avouons-le.
Il existe donc trois sortes de camemberts. L’original, dont l’invention viendrait au 18e siècle d’une certaine Marie Harel dans la ville du même nom près de Mortagne-au-Perche, le camembert dit industriel qui s’est affranchi des règles de l’art et, le spécimen numérisé donnant son nom à une facilité infographique.
C’est le premier qui nous intéresse, l’artisanal. En 1908, un certain Marcel Montéran, ingénieur agricole à Grignon (Yvelines), avait déjà publié une respectable « Monographie et Fabrication du fromage de Camembert ». Dans lequel il expliquait qu’au moins trois colonies d’organismes vivants contribuaient au bon achèvement de l’ensemble soit du penicillum blanc (mucédinées), des bacilles lactiques et des saccharomycès.
Visuellement, le camembert a tout, à l’instar du Pôle Sud, du continent blanc. Si l’on en dégage un petit bout, l’image ainsi produite peut figurer la Terre Adélie découverte par Jules Dumont d’Urville en 1840. Sur l’étal du fromager, dans son entier, il n’est plus qu’un objet de tentation, dont l’attractivité ne doit rien aux lois de la gravité. Le camembert a ceci de merveilleux qu’il se tient à l’écart des dérapages d’une époque, des lubies numérisées du siècle. La morale lui est étrangère. Il est le héraut muet de la puanteur gourmande et c’est pour cela qu’il nous plaît.
Ce refuge pourrait être un sujet et inversement. Il serait par ailleurs plaisant de mettre autour d’une table des personnalités politiques de bords opposés ou de ces intellectuels prompts à s’emparer de n’importe quelle problématique et de de leur donner comme consigne d’élaborer pendant deux heures sur ce thème. Cela permettrait de déterminer dans quelle mesure ce fromage pourrait faire consensus, de comprendre s’il existe à son endroit un positionnement politique, de voir si l’on peut établir un rapport entre courants et coulants. D’autant qu’une fois le temps du débat écoulé, il serait mûr pour la dégustation.
Via ses mémoires sur Guillaume Apollinaire, Maurice de Vlaminck (2) a traité de la question. Dans le journal Cœmedia, en 1941, le peintre raconte sa rencontre avec le poète au cours d’un déjeuner. Et Apollinaire de lui raconter qu’il a « horreur » du camembert, vu qu’un jour de grande faim, en Allemagne, n’ayant plus les moyens de se payer une choucroute, il avait dévoré un camembert entier jusqu’à en tomber malade. Et non pas comme l’acteur Bernard Blier qui en 1987 pour les besoins d’une pub, se vantait d’avoir dévoré tout le contenu de l’emballage pour combler un creux. Venant de lui l’argument était crédible. L’annonceur ne s’était pas trompé.
Cette digression totalement gratuite sur le camembert ne saurait se terminer sans mentionner que c’est aussi de la ville de Camembert qu’était issue Charlotte Corday, celle qui tua dans son bain, un 13 juillet 1793, le révolutionnaire Jean-Paul Marat. En retour elle fut décapitée, à 23 ans. Peut-être que le double drame aurait pu être évité. Avec une portion de fromage, un peu de bon pain et une fillette de calva, qui sait.
PHB
(1) Suivre en direct la consommation de camembert
(2) Le témoignage de Maurice de Vlaminck sur le site de la Porte ouverte
Cher Philippe, bravo pour ce premier volet d’une série qui j’imagine va se poursuivre avec la baguette de pain et le béret basque !
Vive la France !
très belle article et chute superbe
une fillette de calva mazette ! dur à digérer
article savoureux merci
Le camembert… à consommer avec modération, faute de quoi on en perd ses repères géographiques cher Philippe. Marie Harel est née dans un village de l’Orne distant d’une petite dizaine de kilomètres de Camembert. Mais Mortagne au Perche -plus connue pour être la capitale du boudin… rien à voir avec le camembert- se trouve à 70 kilomètres de là. Un camembert à maturité sent fort mais pas à ce point!!!
Cher Pascal merci de la précision, je sais que tu connais bien la question. Amitiés. PHB