On se couche le soir avec l’idée incluse de se réveiller le lendemain et c’est un tort. Car si le cœur s’arrête la nuit, on laisse en plan toutes nos traces de vies. Et c’est exactement ce qui est arrivé à une femme dont on ne connaîtra pas le prénom. Sur une micro-nouvelle de trois pages Laurence Albert l’écrit: « si elle avait su ». Oui si elle avait su, elle aurait pensé à soustraire de sa cachette une correspondance amoureuse coupable à l’égard de son mari.
Une toute petite histoire parmi d’autres qui savent séduire le lecteur à travers un très mince opus intitulé « Nous sommes de grands chiens bleus ».
Le genre « nouvelle » progresse lentement en France tandis que sa subdivision « micro-nouvelle » est encore assez récente. Mais en publiant ses « grands chiens bleus », Laurence Albert encourage cette substance si synthétique que jamais l’on ne s’ennuie. Et c’est sûrement son meilleur opus. Libérée de l’asservissement consistant à faire long, l’auteur laisse sa plume légère, précise, concise, tracer juste le nombre de mots nécessaires pour raconter un détail de l’existence d’un de ses personnages. C’est court comme un effet de brume qui se dissipe au premier rayon de soleil et sans cesse elle nous rassure en nous promettant entre chaque petite histoire qu’elle n’en aura jamais pour longtemps, qu’elle ne fera pas long. Enfin elle ne le dit pas mais la promesse est en filigrane. Laurence Albert écrit avec une légèreté de ballerine mais elle chausse de temps en temps ses baskets lorsqu’elle veut utiliser des mots plus crus, plus expéditifs.
Chacun de ses courts-métrages -la référence cinématographique vient forcément à l’esprit- est différent de celui qui précède comme de celui qui va suivre. Et toujours ce souci de ne pas élargir, de ne pas dilater, de ne pas développer, mais d’aller droit au but. Le plus court de ses textes fait 15 lignes ce qui le situerait presque dans le registre de la poésie en prose. Il s’appelle « Thé au citron ». Une somme qui tiendrait sur une carte postale. Qui nous raconte que « ses » parents, lorsqu’ils voulaient se parler, se préparaient du thé. Et que sa mère avait pour coutume de jouer avec la rondelle de citron. Un jour que cette rondelle avait été particulièrement malmenée, « dépouillée de toute sa pulpe et sectionnée en plusieurs endroits », un jour qu’elle observait le fond d’une des deux tasses, elle comprit que ses parents allaient se séparer. Un texte dont la longueur pourrait également et fort à propos faire office de faire-part.
Laurence Albert développe ici et si l’on peut dire l’art du succinct. Le tout est enveloppé d’une bien jolie maquette qui ajoute au charme de l’ensemble. D’autant que son éditeur a fait appel à un dessinateur (Emmanuel Gross) dont la touche charbonneuse complète finement l’ouvrage comme un couvercle bien ajusté. Le titre du livre laisse un peu perplexe avec cette affirmation sur les chiens bleus. Mais ce n’est pas anormal tant l’auteur s’applique page après page à nous délivrer de ces simili-songes qui font qu’on se lève le matin en se disant que l’on a fait un rêve bizarre, incomplètement restitué. Enfin, quand on la chance de se réveiller bien sûr.
PHB
« Nous sommes de grands chiens bleus » éditions « aNTIDATA » huit euros.
Merci Philippe, cela donne envie d’aller chez le libraire!
Je partage on ne peut plus vos sentiments, votre critique positive et le plaisir d’avoir lu « les grands chiens bleus » qui se dévore d’une traite ou se savoure par petites bouchées!