Mettre les jachères en culture

Les Ateliers Médicis à Clichy-Montfermeil (93) sont sans doutes une des expériences les plus audacieuses et les plus généreuses en matière de culture du Grand Paris. Dans ce recoin de banlieue déshéritée, totalement enclavé (environ 1h20 du centre de Paris pour 13 km), le projet complètement fou d’implanter une Villa Médicis, lieu de l’excellence artistique, est devenu réalité depuis 2016. Un bâtiment (provisoire) est en construction. Mais pourquoi là, où personne n’est censé aller ?
Rappel des faits ! Il faut remonter aux émeutes de 2005, quand la mort de deux adolescents pourchassés par la police a embrasé les banlieues. Jérôme Bouvier, journaliste et médiateur à Radio France, avait suivi les émeutes. Bouleversé par l’état des quartiers et soucieux qu’ils ne restent stigmatisés par ces évènements, il a eu l’idée de faire venir des photographes (2005) puis des écrivains (2008) afin qu’ils apportent un regard différent. Poursuivant son idée qu’un projet culturel d’excellence peut aider à résoudre les urgences sociales, Jérôme Bouvier a imaginé un projet de Villa Médicis qu’il a soumis en 2010, au ministre de la Culture de l’époque, Frédéric Mitterrand. Ce dernier (et c’est peut être la seule chose qu’on retiendra de son passage rue de Valois) s’est laissé immédiatement convaincre, et en a fait son combat, mené avec les élus des deux communes résolument engagés dans le projet dès l’origine, Olivier Klein (Clichy-sous-Bois. PS) et Xavier Lemoine (Montfermeil. LR ex PCD).

Les deux maires savent taire leurs oppositions politiques pour porter ensemble le devenir de leurs deux communes dévastées par les errances de l’aménagement de la Région Parisienne. Aux confins de la Seine Saint-Denis, bordé par les restes de la forêt de Bondy, leur territoire a accueilli dans les années 1960-70, de vastes grands ensembles de maîtrise d’ouvrage essentiellement privée et dont la construction était stimulée par un projet d’autoroute, l’A87, qui n’a jamais été tracée. Le quartier, très enclavé, a vite accumulé les problèmes et n’a pu retenir qu’une population d’une extrême fragilité. Les premiers projets de rénovation ont été bloqués par la présence d’une majorité de copropriétés dégradées et lourdement endettées. En 2004 a été engagé un important PRU, Projet de renouvellement urbain, toujours en cours, avec un programme de démolitions, reconstructions et  réhabilitations, servi par des architectes de qualité qui recompose fortement l’image du quartier. C’est donc dans un secteur en pleine mutation, qui espère l’arrivée du tram T4 vers 2020 et du Grand Paris Express vers 2024, que cette belle utopie, l’art et la culture pour sauver le monde, prend patiemment réalité. En attendant, comme le chante Lavilliers, c’est Stand the ghetto…

Avancement actuel du bâtiment

Passent les gouvernements, passent les ministres de la culture, pendant ce temps les deux édiles ont continué à défendre le projet bec et ongles. Et c’est finalement Fleur Pellerin qui a repris le projet, et créé en 2015 un Établissement public de coopération culturelle entre les villes et l’État, nommant à sa tête, Olivier Meneux. L’appellation Atelier est préféré à Villa et le projet de réhabilitation de la tour de bureau Utrillo un temps envisagé est abandonné. Un nouvel édifice sera construit, face à la prochaine gare du Grand Paris Express et ouvrira en 2024. Après deux ans de nomadisme, un bâtiment provisoire est en construction, sous la houlette du collectif d’architectes « Encore Heureux ». Ces derniers, qui revendiquent une pratique généraliste pour concevoir des bâtiments, des installations, ou des expositions ont le vent en poupe, ils ont notamment été sélectionnés pour assurer le commissariat du pavillon français à la 16e Biennale internationale d’architecture de Venise. Avant de partir pour la lagune, ils érigent en bordure de la Dhuys (canalisée) un bâtiment tout en bois, pensé avec les Ateliers, qui est en sorte un lieu de préfiguration de l’édifice définitif à venir. Prévu pour ouvrir au printemps 2018, il abritera des espaces modulables ateliers/expositions/spectacles, des bureaux, bar, etc… Grande souplesse d’utilisation et ouverture maximale sur l’extérieur pour un bâtiment destiné à être démonté (mais pas remonté !). Alors pourquoi pas des Algeco ? Parce que c’est quand même moins sympa et que le lieu est destiné à être beaucoup visité et à accueillir dans les meilleures conditions, artistes et visiteurs.

Ce bâtiment de bois ne sera pas une tour d’ivoire car le fonctionnement des Ateliers, axé sur le soutien à la recherche et la jeune création a pour vocation première la diffusion et la transmission. À commencer auprès des populations locales jeunes et moins jeunes mais aussi avec des ambitions nationales et internationales. Les Ateliers accueillent des artistes en résidence (dont 20 à 30 % du temps de résidence doit être dédié à des actions de transmission), et en partenariats avec des institutions culturelles, mènent des projets comme « création en cours » résidences d’artistes dans les écoles et collèges (101 projets en 2016-2017) ou « les regards du Grand Paris » initié avec le Centre national des arts plastiques, dont l’objectif est de passer chaque année des commandes à de jeunes photographes autour des mutations de la métropole parisienne.

Les « Temps suspendus » sont les rendez vous réguliers pour découvrir le travail des artistes, auteur(es), cinéastes, plasticien(es)… en bref de la création tous azimuts. Mais montrer ne suffit pas, la question de la transmission, est essentielle pour les Ateliers Médicis qui ne conçoivent pas d’être un laboratoire d’émergences culturelles autrement qu’en étant aussi un lieu de vie et d’échanges dans lequel la création est le média.
Bref, il paraît que la foi déplace les montagnes, elle a en tous cas fait bouger les coteaux de Clichy/Montfermeil. Si l’art et la culture vous passionnent et si demander l’impossible vous parait réaliste, n’hésitez pas à faire claquer le Pass navigo et à vous y transporter (RER+bus), il s’y passe beaucoup de choses surprenantes.

Marie-Françoise Laborde

Ateliers Médicis. 2 allée Romain Rolland. Et bientôt, allée des Cinq Continents à Clichy-sous-Bois.

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4 réponses à Mettre les jachères en culture

  1. Lombard André dit :

    La Villa Médicis n’est hélas aujourd’hui en rien une référence de l’excellence artistique.
    Elle est complètement noyautée et donc sous la coupe du terrorisme culturel ambiant qui s’autoproclame « Art contemporain ».
    André Lombard 84750 Viens.

  2. Lise BM dit :

    Idée apparemment séduisante, même si la référence à la Villa Médicis est un peu mégalomane, non? Il me semble qu’une appellation plus modeste servirait mieux le projet.

  3. D’où l’appellation d’Atelier! Les ambitions n’en sont pas moindres.
    Quel est le sort de la Villa de Rome? Sincèrement je n’en connais pas les dessous. 9a reste un lieu un peu mythique pour moi où j’adorerai séjourner.

  4. Forest dit :

    Belle idée ce projet du grand Paris dans un secteur délaissé et proposant une approche culturelle dans un quartier de défavorisés ! Va-t-il prendre racine auprès de ses habitants ? Souhaitons le . En tous les cas c’est un exemple de projets portés par deux maires opposés sur le plan politique .Felicitations à eux !

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