Là, tout n’est qu’ordre et beauté, luxe, calme et… art. Petite île escarpée de 8 km², peuplée de 3000 habitants, Naoshima est parcourue de sentiers grimpants à la végétation foisonnante. Ils offrent des points de vue romantiques sur ses criques cerclées de pins sylvestres et les eaux scintillantes de la mer intérieure du Japon. L’île est connue des amateurs d’art contemporain.
Ils viennent y vivre une expérience artistique d’un genre nouveau tout en se ressourçant dans un cadre paradisiaque. Au début des années 1990, un deus ex-machina a sorti Naoshima de sa torpeur. L’île s’était assoupie avec le déclin de sa principale activité, la pêche, et le vieillissement de sa population. Le deus ex-machina s’appelle Fukutake Sotchiro. Il s’agit du fondateur du groupe Benesse, un homme d’affaires japonais septuagénaire, millionnaire et collectionneur-mécène. Sensible à l’art depuis sa prime jeunesse, il n’imaginait pas ouvrir un musée de plus dans la fureur et le bruit d’une grande métropole japonaise pour ses collections. Selon lui, seul un environnement où art, architecture et nature entrent en harmonie permet de vraiment ressentir le message transmis par une œuvre d’art. Dont acte. Il a choisi l’écrin de beauté naturel de Naoshima pour développer son projet artistique et a fait appel au talent de l’architecte japonais Tadao Ando pour réaliser le mariage subtil entre art, architecture et nature. Tadao Ando, dont le travail s’est appuyé sur le béton et la lumière, a conçu, en collaboration avec les artistes pressentis, trois musées disséminés dans le sud de l’île. Une agréable promenade piétonne mène de l’un à l’autre. Elle est jalonnée d’une vingtaine d’installations et sculptures campées en pleine nature : le potiron géant de Yayoi Kusame, les sculptures colorées de Niki de Saint-Phalle, les barques de Shinro Ohtake, la tasse de thé de Kazuo Katase…
La Benesse House a été la première à voir le jour en 1992. Sur l’un des points culminants de l’île, elle abrite un musée et un hôtel de luxe de 16 chambres avec une vue grandiose sur la mer de Seto. Les œuvres de la collection de la fondation Fukutake (Warhol, Basquiat, Twombly, Yukinori Yanagi, Nauman …) y voisinent avec les créations réalisées in situ par des artistes inspirés par l’esprit du lieu. Les installations circulaires en matériaux naturels de Richard Long ont été inspirées par son exploration de l’île. Le ciel de Naoshima a inspiré Kan Yasuda. Dans une petite salle aux très hauts murs de béton brut ouvrant sur le ciel, il invite les visiteurs à s’allonger sur d’énormes galets de marbre poli pour contempler le ciel devenu œuvre d’art sous le nom de « The secret of the sky ».
Le musée Lee Ufan, installé dans une vallée en bord de mer, rend hommage, comme son nom l’indique, à l’artiste contemporain coréen Lee Ufan qui a joué un rôle majeur dans les années 1960 et 1970. En jouant avec la lumière et les formes simples de sa structure en béton en partie immergée, Tadao Ando fait dialoguer l’art minimaliste de Lee Ufan avec la nature.
Quant au musée Chichu, il fait vivre une expérience sensorielle et émotionnelle inédite. Entièrement enfoui (« chichu » signifie « enfoui » en japonais) dans un à-pic qui domine l’île, son architecture repose sur un design minimaliste. Des puits de lumière sont ménagés grâce à des ouvertures astucieuses dans le béton. Trois artistes se partagent l’espace. La visite commence par la salle des nymphéas de Monet éclairée par une lumière naturelle. Pour l’Orangerie de Paris, Monet avait souhaité que les Nymphéas soient montés sur de gigantesques toiles courbes et éclairés par une lumière naturelle afin de donner aux visiteurs l’impression de se trouver en pleine nature. On retrouve l’esprit du projet artistique Benesse. Plus contemporaines, les installations de James Turrell et Walter de Maria relèvent d’un art expérimental minimaliste. Dans les salles investies par James Turrell, les sensations fortes sont garanties. A tel point que des avertissements mettent en garde les personnes sensibles. Pour Turrell, la lumière en elle-même est un art. Il joue de ses déclinaisons et projections sur les murs et plans inclinés pour provoquer des illusions capables de brouiller notre vision et nos sens. L’installation de Walter de Maria, « Time/timeless/No time » invite davantage à la contemplation. Un escalier monumental mène à une sphère de granit de 2,2 mètres de diamètre placée au centre d’une salle. Sur les murs, 27 sculptures géométriques dorées à la feuille d’or font penser à de petits tuyaux d’orgue. L’installation éclairée par un puits de lumière, qui évolue au fil des heures plongeant parfois l’œuvre dans l’ombre, est saisissante. Des visiteurs resteraient en méditation prolongée dans cette cathédrale artistique minimaliste, nourrissant leur âme de ces signes temporels.
Fort de son succès, le site artistique Benesse a pris de l’ampleur au fil du temps. A Naoshima, une dizaine de maisons abandonnées du petit port de Honmura ont été transformées en installations pérennes et constituent le « Art House Project ». D’autres projets spectaculaires, ouverts sur la nature, ont été conçus sur les îles voisines de Teshima et Inujima. Ils nous permettent de développer des apprentissages sensoriels d’un nouvel âge artistique.
Lottie Brickert
Image d’ouverture: « Pumpkin » Yayoi Kusame. ©Lottie Brickert
Benesse Art-site Naoshima. île de Naoshima, préfecture de Kagawa 761-3110, Japon. Ouvert toute l’année de 8:00 à 19:00. Jour de fermeture, le lundi
Bobos de tous les pays unissez-vous !
André Lombard 84750 Viens.
Naoshima ce n’est pas du « bobo » c’est un luxe, pour qui sait faire la différence.
Merci de votre commentaire.
Lottie
Cela donne une fois de plus l’envie d’une escapade au Japon, la description est magnifique, il s’en dégage beauté et sérénité. Merci Lottie!
Merci, Lottie, pour ce beau voyage à Naoshima ! Une fois de plus, vous nous avez fait rêver. Promis, le jour où je pars au Japon, vous serez dans mes pensées.
Bonne journée,
Isabelle
Merci pour cette belle promenade Lottie ou.il ne manque que d’ajouter des senteurs.
Chère Lottie, je serai un milliardaire qui veut s’approprier le bois de Boulogne, par exemple, je vous engagerai ! Vous justifiez avec une candeur post-moderne ce qui arrive partout : de braves industriels qui peuvent s’acheter une île, un palais, un parc d’attraction pour y poser les mêmes choses partout dans le monde, « choses » « arty » (ficiel?) achetées à prix d’or alors qu’ils gèrent comme des Picsous leurs entreprises en pleurant sur les charges sociales, en faisant de l’optimisation fiscale et en traitant leurs employés comme des kleenex (pardon des mouchoirs en papier marque leader)…
Vive les îles encore vierges avec des populations vieillissantes et pas considérées comme des propriétés privées par des hyper capitalistes qui y imposent leur mauvais goût de philistins. Ah ! Je dis mauvais goût : c’est leur faire trop d’honneur. Non, ils alignent partout les mêmes oeuvres banales choisies par les mêmes conservateurs dans des bâtiments construits par les mêmes architectes…
Avez-vous remarquer que vous vantez de l’uniformité artistique ? Qu’il n’y a jamais rien de différent, de saugrenu, quelque chose qui serait « hors marché » ?
Pour jargonner english à mon tour, comme dans cet art mondialisé, j’appelerai ça du « Fric-Art »
Chère Lottie, je vous conseillerai de voir « The Square », la palme d’or de cette année. La meilleure critique de l’art moderne (et pas que) jamais proposée.
Cher lecteur,
Dans le village de 800 habitants dont je viens, on cultive ses champs, on ne cultive pas son esprit. La beauté je la vois avec un regard candide. Je loue mon cœur d’artichaut (ou « arty-chaud » mais pas « arty-show ») de palpiter en toute liberté où art lui semble. Je le loue encore davantage de ne pas succomber au dézingage systématique somme toute bien convenu.
Au vu des commentaies suscités, au moins ces notes de visite ne laissent-elles pas indifférents…
Au-delà de toute polémique, puis-je relever une fois de plus la grande sensibilité descriptive de Lottie, qui donne envie au lecteur, amateur ou non d’art contemporain, de suivre ses pas. Pour peut-être éprouver à son tour la magie de cet endroit…
J’arrive bien tard.. .. 2 ans après la publication de cet article. J’ai eu l’immense bonheur d’aller à Naoshima (et Teshima) deux années de suite. … et de dormir dans le Benesse House Muséum. Pour l’amoureuse de l’art que je suis, ces deux séjours ont été parmi les plus intenses de mon existence. (J’ai même expérimenté le syndrome de Stendhal au Teshima Art Museum… )
Pouvoir dormir dans un musée, entourée d’oeuvres fortes, pouvoir rêver devant un Basquiat ou les 100 live and die, un Hockney ou une photographie de Sugimoto le temps que l’on souhaite après la fermeture au public, sont un luxe immense… ou simplement se promener sur les îles et déambuler devant des statues, des installations, dans la nature. Pour qui aime l’art, ces îles sont magiques (Et revitalisent l’économie locale, créent des emplois, initient aussi à l’art moderne et contemporain )…. Les descriptions de l’article sont exactes et appropriées.