“Au revoir là-haut”, le roman de Pierre Lemaitre, Prix Goncourt 2013, n’est plus à présenter. Surtout depuis qu’il a été porté à l’écran par Albert Dupontel avec le succès que l’on sait. Deux millions de spectateurs ! Cette double arnaque située dans l’après-guerre de 1918, cette histoire on ne peut plus abracadabrante, mais probablement fondée, de milliers de cercueils enterrés au petit bonheur la chance et de commandes de monuments aux morts non honorées ne pouvait laisser tout un chacun indifférent. D’autant plus que la forme venait parfaire le fond, le récit étant extrêmement bien écrit, dans un style d’une grande fluidité. Alors que le livre se terminait sur une fin non équivoque, ne voilà-t-il pas qu’une suite à ce passionnant roman nous est annoncée : “Couleurs de l’incendie”, parue en ce mois de janvier.
A la grande Histoire venait s’ajouter la petite histoire, celle d’une famille de la haute bourgeoisie française, les Péricourt : Édouard, le fils, une gueule cassée enregistrée pour mort se cachant sous des masques fantaisistes plus poétiques les uns que les autres, son ami et complice le soldat Maillard, Marcel son père, Madeleine sa sœur, le lieutenant Pradelle mari de celle-ci…
Mais “Au revoir là-haut” se prêtait-il réellement à une suite ? Cet univers fantasque et poétique lié à un personnage voué à ne pas revenir pouvait-il perdurer ? Ce formidable et foisonnant roman garderait-il sa force et son originalité dans la continuité ? La réponse est non, car justement la singularité du premier opus reposait sur le récit de ces escroqueries rocambolesques. Et pourtant…
Avec “Couleurs de l’incendie”, Pierre Lemaitre effectue un bond dans le temps de sept années et reprend son récit en 1927 lors des obsèques du patriarche, Marcel Péricourt. Les principaux protagonistes écartés, il se concentre sur la personne de Madeleine, l’héritière de cet immense empire financier, et du fils de celle-ci, Paul. Personnage secondaire jusque-là un rien fade et plutôt insignifiant, Madeleine Péricourt ne possède aucune caractéristique particulière pour susciter l’intérêt du lecteur et devenir une héroïne de roman. Son petit Paul, alors âgé de sept ans, bègue, introverti et paraplégique suite à une défenestration, malheureusement pas davantage. Les deux cents premières pages se parcourent donc avec un certain scepticisme, voire un ennui naissant.
Puis, soudain, tout bascule et le roman commence véritablement, pour ne plus lâcher le lecteur sur les plus de trois cents pages restantes. La ruine de Madeleine Péricourt, trahie et abandonnée de tous, obligée à faire face seule à son nouveau destin avec un enfant handicapé, va changer la donne. “Pour que les dieux s’amusent beaucoup, il faut que le héros tombe de haut” nous dit l’auteur en citant Jean Cocteau. Madeleine Péricourt va tomber de très haut et le lecteur, beaucoup s’amuser. Et retrouver son âme d’enfant. Rappelez-vous : Edmond Dantès, Mercedes, Danglars, le comte de Morcef, Villefort… Tel le comte de Monte-Cristo, Madeleine Péricourt va se venger de ses ennemis un à un et révéler un caractère digne des plus belles héroïnes romanesques. Soudain, c’est comme si elle s’était réveillée, et nous avec. Le petit Paul, d’apathique devient atypique, puis carrément extraordinaire par la sensibilité, la maturité et la clairvoyance dont il fait preuve.
Autour de nos deux héros évoluent d’autres personnages hauts en couleurs merveilleusement bien campés: Vladi, l’inénarrable nounou polonaise, M. Dupré, l’ancien contremaître du mari de Madeleine devenu l’homme de la situation – c’est le moins que l’on puisse dire –, l’excentrique et non moins touchante diva Solange Gallinato, Léonce, la dame de compagnie, rappelant la Milady de Winter de notre enfance, Robert, l’homme de main, une sorte de lointain cousin d’Avril dans “Les Enfants du Paradis” …
Nous suivons l’avancée de la vengeance de Madeleine avec jubilation, regardant avec satisfaction ses ennemis tomber les uns après les autres, veillant à ce qu’elle n’en oublie aucun. Là encore toute une palette de personnages très bien dessinés nous est offerte.
Pierre Lemaitre a décidément du savoir-faire et, en digne émule d’Alexandre Dumas, tient son lecteur en haleine jusqu’à la dernière ligne. Sa maîtrise du roman policier et son talent narratif font ici toute leur preuve. Le contexte historique est, par ailleurs, savamment documenté. Sur fond de crise de 1929 et de montée du nazisme, il nous dépeint avec cynisme et noirceur le monde de la finance et de l’industrie. La légèreté et l’humour ne sont pas absents pour autant, loin s’en faut. Et le petit Paul, tel Édouard Péricourt avant lui, personnage quasi muet et extrêmement attachant, restera longtemps dans nos mémoires. Ainsi que son gramophone.
Pierre Lemaitre a annoncé que “Couleurs de l’incendie” était le deuxième volet d’une trilogie inaugurée avec “Au revoir là-haut”. Nous attendons donc avec impatience la suite, ou plutôt, le prochain roman de Pierre Lemaitre.
Isabelle Fauvel
“Couleurs de l’incendie” de Pierre Lemaitre chez Albin Michel (2018), 530 pages, 22,90€
“Au revoir là-haut” de Pierre Lemaitre chez Albin Michel, Prix Goncourt 2013.
Ayant trouvé » Au Revoir Là-haut » sur un banc, j’ai tenté de le lire… Bilan : j’ai calé au bout de cent pages… C’est de la grosse cavalerie comme jadis des gens estimables comme Denuzière, Sabatier… Pas subtil, ripolinisé au goût du jour… un tourne-pages à l’ère des séries qui ont l’air d’enchanter tous nos contemporains… Mais si on se penche sur les détails, les faux-raccords sont légion, les personnages n’ont aucune épaisseur, etc…
J’ai lu hier le dernier Quignard, « Dans ce jardin qu’on aimait » et je me demande si après un livre comme celui-là on peut encore lire Pierre Lemaître…
Autre chose : je joue parfois les mouches du coche, comme aujourd’hui… J’aimerais qu’il y ait des réactions… Je trouve les lecteurs des Soirées de Paris un peu passifs depuis quelque temps. C’est dommage car Isabelle, Philippe, Lise, Gérard et les autres se donnent du mal et même si je ne suis pas toujours (certains diraient souvent pas) d’accord avec eux, j’aime qu’ils aient envie de partager leurs enthousiasmes, leurs coups de coeur, etc… En tout cas, moi je les en remercie !
Alors si Philippe P. veut des réactions, je dois dire que je suis de son avis sans même avoir lu Pierre Lemaitre, j’assume ma mauvaise foi avec joie et ne lirai jamais ce monsieur Lemaitre dont je pressens qu’il m’irriterait au plus haut point!
Et bien moi, je l’ai lu. En commençant par ses polars bien construits, bien écrits (monsieur Lemaitre est un grand lecteur et ça se ressent), mais assez violents…
Au revoir là-haut, souffre à mon avis de la virtuosité du premier chapitre, le reste parait plus banal ensuite,mais quelle ouverture! J’ai par ailleurs adoré le film. Merci Isabelle pour cet avant goût!
D’accord avec vous Philippe, j’ai souvent été dépitée par le manque de réactions, pas seulement pour mes articles.
Chère Lise vous devriez trouver sans peine des sujets de détestation, alors pourquoi vous embrunir l’esprit avec des livres que vous n’avez pas lu????