En 1978, France Gall chantait « ça balance pas mal à Paris » sans se douter à quel point les réseaux sociaux lui donneraient, quelque 40 plus tard, raison. Ce n’était pas vraiment l’objet de sa chanson mais à se pencher un lundi de pluie sur sa tombe (ci-contre), il nous vient en tête un bilan pertes et profits des années soixante avec quelque chose de semble-t-il irrécupérable, la capacité de certains artistes de ces années-là à ne pas se prendre au sérieux. Il y avait comme une tendance à la rigolade qui commençait par soi-même. Et qui s’est quelque peu perdue depuis.
Il se trouve que cette hygiène de l’auto-dérision, auto-dérisoire, le photographe Jean-Marie Périer l’avait mise en scène dans un livre illustré par son travail et justement titré « Mes années soixante ». Il y traite de France Gall bien sûr, celle qui de son point de vue était « une des rares à savoir vraiment chanter », mais aussi ceux qui faisaient la matière photographique des journaux de variétés, de Johnny Hallyday à Sheila et jusqu’aux Beatles et les Rolling Stones.
Page après page, c’est un défilé de vedettes qui n’avaient pas encore le sens de l’image qu’ont les stars d’aujourd’hui. Comme Jean-Marie Périer était en charge de faire des photos créatives, il procédait à des mises en scène plutôt drôles comme Sheila et Sylvie Vartan en Bécassines, France Gall en hussard de la garde, Jacques Dutronc dans de multiples emplois idiots et qui se pliait semble-t-il avec bonne volonté aux injonctions farfelues du photographe. L’une des plus représentatives du chanteur est celle, sur une double-page, où l’on voit l’auteur de « fais-pas ci, fais-pas ça » avec un casque acoustique sur les oreilles, relié par un micro aux entrailles d’un poisson mort. Elle est même un brin surréaliste. Commentaire de Jean-Périer: « Il a apporté une distance, une ironie et un humour nouveau, dont il avait d’ailleurs le tact d’être la première victime. » Chaque année, avec une nette accélération ces derniers temps, l’album du photographe se barre d’un bandeau de deuil. Dutronc est toujours parmi nous mais on devine qu’à maints égards, le jour venu, il ne sera pas remplacé. Jean-Marie Périer se souvient d’un vol effectué avec lui, en 1969, sur un Boeing de la TWA entre Bombay et Ceylan. « Je l’ai vu, raconte-t-il, transformer un avion entier en asile de fous. Les hôtesses dansaient avec les stewards, les passagers se déshabillaient en buvant debout sur les sièges, même le commandant de bord nous avait rejoints pour faire la fête ». Car toute sa vie il avait rêvé d’être une hôtesse de l’air, d’avoir « le bas en haut ».
On peut aussi relever quelques images plus tard, une photo de Françoise Hardy prise en décembre 1971, pour le magazine Mademoiselle Âge Tendre. Elle porte une perruque bouclée façon Angela Davis et la peau de son visage a été teinte en brun clair. En 2018 cela s’appelle le « blackface » et y céder revient à se faire conspuer pour racisme. Ce n’était sûrement pas le propos ni de la chanteuse ni du photographe mais aujourd’hui ils ne s’y risqueraient probablement pas.
En attendant, du côté du cimetière Montmartre, avenue de Montmorency, 30e division, repose le corps de France Gall au sein d’un mausolée transparent. Ce 21 janvier mouillé, détrempé, l’endroit était encore entouré de fleurs et couronnes avec des noms célèbres en bandoulière. « Laisse tomber les filles, laisse tomber les filles, un jour c’est toi qu’on laissera »: Serge Gainsbourg lui avait écrit cette chanson qu’elle devait interpréter avec un entrain contaminant en 1964. Le tout est parti dans un trou, encore un petit trou, première et deuxième classe.
PHB
Jean-Marie Périer, « Mes années 60 » Éditions France Loisirs