Depuis la saison passée, le Bureau des lecteurs de la Comédie-Française a encore intensifié sa découverte des auteurs d’aujourd’hui en proposant non plus deux, mais trois, cycles de Lectures d’auteurs contemporains. Le prochain, considéré désormais en quelques sorte comme le cycle intermédiaire entre les traditionnels rendez-vous d’automne et d’été, se tiendra donc les 3, 4 et 5 février au Théâtre du Vieux-Colombier (ci-dessus). Ce sera sans doute là encore l’occasion de belles rencontres avec des textes de qualité.
Les auteurs contemporains ont, en effet, toute leur place à la Comédie-Française, que ce soit au Vieux-Colombier et au Studio-Théâtre, scènes secondaires et considérées souvent comme plus expérimentales, mais également Salle Richelieu où ils viennent régulièrement enrichir le Répertoire. Celui-ci compte à ce jour près de trois mille pièces !
Mais de quoi s’agit-il exactement ? Qu’entend-on réellement par “Répertoire” ? Le Répertoire, rappelons-le, constitue un des trois piliers de la Maison de Molière qui, avec la Troupe et l’Alternance, font sa spécificité. Son histoire remonte à plus de trois cents ans : en 1680, Louis XIV accorde à la Troupe des Comédiens-Français – née de la réunion de celle de l’Hôtel de Bourgogne et de celle de l’Hôtel de Guénégaud (les comédiens de Molière) – le monopole de jouer les pièces en langue française à Paris et dans ses faubourgs dans le but de “rendre les représentations des comédies plus parfaites”. Ainsi est créé un fonds de répertoire qui rassemble toute la littérature dramatique existante de l’époque : Corneille, Molière et Racine bien évidemment, mais également Rotrou et Scarron, moins connus de nos jours. Puis ce fonds augmente régulièrement avec les nouvelles pièces jouées au fil des ans.
Propre à cette Maison donc, le Répertoire répond à des règles simples. Constitué de l’ensemble des pièces jouées par les Comédiens-Français sur leur scène principale, la Salle Richelieu, il repose sur le principe suivant : toute œuvre, quelle que soit son époque, peut être inscrite au Répertoire par le Comité de lecture, sur proposition de l’Administrateur général. Par conséquent, le Répertoire n’est pas exclusivement “classique”, comme on pourrait avoir trop souvent tendance à l’imaginer, mais offre une représentation éclectique des dramaturgies françaises et étrangères à travers le temps. Ainsi, par exemple, cette saison, deux grands auteurs dramatiques, dans des genres tout à fait différents, font-ils leur entrée au Répertoire : l’auteur contemporain suédois Lars Norén (né en 1944), avec “Poussière”, une pièce écrite tout spécialement pour les acteurs du Français, et le dramaturge et poète allemand Frank Wedekind (1864-1918) avec une œuvre de jeunesse “L’Éveil du Printemps” (1891), une tragédie enfantine comme il aimait lui-même à la nommer, qui fit, par ailleurs, scandale en son temps. La saison précédente vit même – grande nouveauté ! – entrer deux œuvres cinématographiques : le scénario du film “Les Damnés” de Luchino Visconti, Nicola Badalucco et Enrico Medioli ainsi que celui de “La règle du Jeu” de Jean Renoir.
Cette reconnaissance de la scène contemporaine est d’ailleurs bien visible dans les salles du Studio-Théâtre (ci-contre) et du Vieux-Colombier où l’on peut ainsi entendre cette saison les mots de Jean Genet, Marcel Aymé, Daniel Pennac, Albert Londres, Sergi Belbel, Jean-Luc Lagarce ou encore David Lescot.
Cette considération de l’écriture contemporaine souligne toute l’importance du Bureau des lecteurs de la Comédie-Française. Dénicheur de talents, celui-ci a pour mission de découvrir les textes d’auteurs d’aujourd’hui, d’expression française ou traduits d’une langue étrangère. Présidé par Laurent Muhleisen, conseiller littéraire de l’illustre Maison, et composé d’une dizaine de personnalités, principalement membres de l’institution, ce comité est chargé de lire et d’évaluer l’ensemble des quelque trois cent cinquante manuscrits envoyés au cours de l’année à la Comédie-Française par des auteurs ou des traducteurs. Parmi tous ces textes, le Bureau des lecteurs n’en retient chaque année que neuf qui font ensuite l’objet de lectures publiques par les comédiens de la Troupe. Ces lectures se déroulent soit au Vieux-Colombier, soit au Studio-Théâtre, et sont ouvertes à tout un chacun sur simple réservation. Au cours de chaque session, un “groupe de spectateurs engagés” – familièrement appelé le GSE –, présent à toutes les lectures, vote alors pour son propre coup de cœur, à l’issue d’une discussion “dramaturgique” animée. Les textes ainsi distingués sont, par la suite, susceptibles d’être intégrés dans une programmation future. C’est ainsi que furent notamment créées au Studio Théâtre “Lampedusa Beach” de Lina Prosa, en 2013, et “Dancefloor Memories” de Lucie Depauw, en 2015.
Les textes lus lors de ces lectures publiques sont donc “la crème de la crème” pourrait-on dire et c’est un véritable régal pour l’oreille comme pour l’esprit de les entendre, d’autant qu’ils sont portés par des comédiens d’excellence. Ainsi qu’aime à le rappeler Laurent Muhleisen, le maître de cérémonie, Molière et Shakespeare, avant de devenir des classiques, furent eux-mêmes des auteurs contemporains.
Le dispositif de ces lectures est d’une grande simplicité : quelques chaises – parfois des pupitres – sur un plateau nu ou dans le décor de la pièce alors à l’affiche, des comédiens en tenue de ville, quelques déplacements, des intentions de jeu, et parfois même des didascalies (note ou un paragraphe, rédigé par l’auteur à destination des acteurs ndla) lues par le comédien qui a dirigé la lecture. L’auteur – ou le traducteur – est souvent présent dans la salle. Nous nous devons là encore d’insister sur l’excellence des comédiens qui interprètent le texte, ayant réussi à se l’accaparer dans un temps de préparation record : trois services de trois heures. Ce temps de répétition reste d’ailleurs purement théorique et la réalité est souvent en deçà. Toute la Troupe se prête de façon unanime au jeu de ces lectures, sans aucune distinction de notoriété ou d’ancienneté. Pensionnaires comme sociétaires. Depuis peu, les comédiennes et comédiens de l’Académie se sont également pliés à l’exercice. La distribution est dictée par un seul critère : l’emploi du temps des uns et des autres. L’âge des personnages peut aussi entrer en compte.
Ces lectures publiques de textes le plus souvent inédits, même s’ils ne sont pas montés par la suite à la Comédie-Française, peuvent représenter un réel tremplin pour leur auteur dont c’est parfois le premier texte, comme pour “Ogres” de Yann Verburgh que l’on a pu voir sur d’autres scènes par la suite. Il s’agit là d’un véritable coup de projecteur non négligeable.
Le groupe de spectateurs engagés, constitué de 39 personnes lors de la dernière session, mais habituellement plus nombreux, doit impérativement assister aux trois lectures. A l’issue de la troisième journée, le vote pour le coup de cœur s’effectue en deux tours, sauf si une majorité écrasante se dégage dès le premier tour comme ce fut le cas, par exemple, pour “Dévastation” de Dimitris Dimitriadis en octobre 2015 ou encore pour “Iphigénie à Splott” de Gary Owen en décembre dernier.
Certains auteurs (1) ont été sélectionnés à plusieurs reprises par le Bureau des lecteurs avec des textes différents, tels le catalan Josep Maria Miro (“Le Principe d’Archimède” et “Fumer”), les français Yann Verburgh (“Ogres” et “La neige est de plus en plus noire au Groenland”) et Pauline Peyrade (“Bois impériaux” et “Poings”) ainsi que le suédois Jonas Hassen Khemeri (“J’appelle mes frères” et “Presque égal à”). Nos futurs classiques de demain ? Indéniablement des auteurs avec lesquels il faudra compter dans les années à venir.
D’autres lectures ont montré la symbiose parfaite qui pouvait exister entre un texte et son interprète. On aurait envie de parler de “coup de foudre”. Ainsi Jennifer Decker, avec “Au bout du couloir à droite” d’Aurore Jacob, ou encore dernièrement Julie Sicard avec “Iphigénie à Splott” de Gary Owen, se sont-elles emparées avec passion de textes qu’elles ont su restituer à la perfection. Les pièces existaient devant nos yeux et nous ne pouvons qu’encourager ces jeunes femmes à se les approprier complètement et à les jouer sous forme de Singulis, ces seul-en-scène programmés au Studio-Théâtre.
Les textes présentés sont souvent très novateurs et s’éloignent ostensiblement des sentiers battus, tant par leur construction, leur écriture que par le sujet traité. Ainsi comment ne pas être bouleversé par “L’étrange incident du chien pendant la nuit” du britannique Simon Stephens (coup de cœur novembre 2014) ? En partant de la découverte du corps sans vie du chien d’une voisine, l’auteur nous parle avec humour et intelligence de l’autisme et, à travers une enquête à suspense, fait le portrait sensible d’un jeune adolescent atteint du syndrome d’Asperger. Et comment ne pas succomber au charme d’“Hermann” de Gilles Granouillet ? Cette pièce raconte une merveilleuse histoire d’amour – deux merveilleuses histoires d’amour, en réalité – en forme de puzzle où les époques se croisent et s’entrecroisent, les couples s’intervertissent et où l’on découvre, contre toute rationalité, que l’amour est capable d’arrêter le temps. Et que dire de “Dévastation” du très grand Dimitris Dimitriadis qui, dans cette pièce, s’empare avec espièglerie du mythe des Atrides ? De “L’Abeille” du Japonais Hideki Noda ? De “L’Affaire Harry Crawford” de l’auteur australien Lachlan Philpott (coup de cœur novembre 2016) ?…
Vous l’aurez compris, ces lectures sont de véritables spectacles que nous ne pouvons que vous encourager à suivre. De belles mises en perspective des auteurs d’aujourd’hui, voire des classiques de demain…
Isabelle Fauvel
(1) Ces quatre dernières années, il nous a ainsi été offert d’entendre les mots d’auteurs aussi variés que Josep Maria Miro, Rémi De Vos, Nick Gill, Aïat Fayez, Simon Stephens, Jonas Hassen Khemeri, Gilles Granouillet, Philippe Malone, Yann Verburgh, Fredrik Brattberg, Samuel Gallet, Dimitris Dimitriadis, Pauline Peyrade, Rebekka Kricheldorf, Hideki Noda, Guillaume Poix, Lachlan Philpott, Janusz Glowacki, Stefano Massini, Aurore Jacob, Koffi Kwahulé, Nina Chataignier ou encore Gary Owen.
Prochains cycles de Lectures d’auteurs contemporains du Bureau des Lecteurs :
2ème cycle : les 3, 4 et 5 février 2018 au Théâtre du Vieux-Colombier
3ème cycle : les 16, 17 et 18 juin 2018 au Théâtre du Vieux-Colombier
Entrée libre sur réservation : 01.44.39.87.00
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