Par définition les lignes parallèles ne sont pas faites pour se croiser. Avec son dernier roman « Notre crime », Émile Brami a brisé cette règle géométrique fondamentale. En déviant la trajectoire de deux juifs tunisiens ayant quitté leur pays dans les aléas de l’indépendance, il a provoqué, dans ce roman qui tient beaucoup du récit, une intersection. Avec son talent propre il a créé ce faisant, ce que les anglophones appellent un « page-turner » c’est à dire un livre que l’on ne lâche plus après l’avoir commencé.
Ce curieux roman se divise en deux volets d’égal volume. L’un se consacre à celui qui tient la plume. Il se présente longuement à travers une narration suffisamment piquée d’anecdotes étonnantes pour que l’on s’y attache d’emblée. L’autre est dévolu à un personnage mystérieux, affabulateur, dont le premier est amené à faire la connaissance par effet de cousinage.
D’abord c’est sûr on est dans le vrai. Émile Brami existe. Il tient une échoppe de livres anciens dans le troisième arrondissement de Paris laquelle depuis cinq ans, fait aussi galerie d’art. Juif originaire de Tunisie c’est un écrivain confirmé avec dix titres à son actif. Il a notamment publié une biographie de Céline et aussi « Histoire de la poupée », soit le récit d’une petite fille de 12 ans enfermée dans le bordel d’un camp « qui ressemble beaucoup à Auschwitz ». Il lui arrive de se présenter comme un peintre refoulé, un auteur contrarié par un succès distant et enfin, tel un homme chroniquement timide. Il raconte qu’à peine adolescent, on l’avait enfermé sous statut de pensionnaire dans un collège du sud de la France, un de ces bagnes ordinaires d’où l’enfance ressort forcément meurtrie. Un week-end où il devait retrouver une vague famille payée pour l’héberger du samedi au dimanche, il a trouvé porte close et s’est retrouvé à errer dans une ville sans personne pour lui tendre la main. Seul à 13 ans, il cherchait où dormir. Émile Brami ne retient pas sa plume et c’est bien ainsi tant il sait manier l’humour au fil des petites histoires émargeant aux grandes, au long de ses curiosités, de ses passions comme de ses dépits.
Au terme de cette riche introduction qui aurait pu se prolonger en autobiographie complète ce qui n’est pas le cas et c’est regrettable soulignons-le, il nous fait faire la rencontre d’un de ses compatriotes, Azed, transporté comme lui en France au début des années soixante. Nous quittons alors le vif du sujet pour un autre. Quelqu’un qui fait partie de ces gens tombés un jour dans le mensonge pour ne plus pouvoir en sortir comme un cafard dans le pétrin. Son histoire est pitoyable jusqu’à ce que le bonhomme réussisse à transformer son défaut en baratin et le baratin en sésame pour la fortune. Si Émile Brami s’est décidé à raconter les tribulations d’Azed jusqu’au crime, c’est parce que celui-ci le lui a demandé. Avant de mourir d’un cancer il lui a laissé tout un matériel écrit et enregistré. C’est à partir de cette livraison qu’Émile Brami a rédigé ce livre hybride, composite, mêlant deux histoires, accotant deux trajets, lesquels, hormis une origine géographique commune, n’étaient pas programmés pour frayer.
Et il y a donc un crime, un gros crime dans cette affaire, que l’on découvre effaré tant il est odieux. Mais est-il vrai? Sachant qu’Azed était un affabulateur patenté? Est-il authentique puisque que tout cela est décrit sous la plume d’un romancier? « Alors, interroge-t-il son lecteur dans un ultime volet, vous qui êtes autant que moi une fille ou un fils de pute complètement asocial et une ou un véritable enfoiré, que pensez-vous de ce qui précède », se dévoilant dans la foulée comme « un scribe trop scrupuleux pour être honnête ». Le mot de la fin il l’emprunte à Landru juste avant que le célèbre tueur de femmes en série ne se fasse guillotiner. On dit que son avocat lui avait demandé si tout ce qu’il avait fait était vrai et que le criminel lui avait répondu « Cela maître, c’est mon petit bagage ». C’est pourquoi nous avons-là affaire à un roman présenté dans une sorte de valise à double-fond.
PHB
Emile Brami « Notre Crime » Éditions Écriture, 18 euros
Voilà qui donne très très envie d’allet chez son libraire favori…, merci pour la découverte !
Je lirai ce livre avec intérêt. Merci. Histoire de la poupée demeure l’une de mes lectures préférées.