Cette photo représente un aspect de la place de la République, à proximité de la rue du Faubourg du Temple. Elle comporte des immeubles, une entrée de métro et une publicité. Mais cette vue n’existe plus. Car l’annonce exposant de la lingerie féminine a été remplacée. Si la publicité est naturellement éphémère, le fait de la figer sur une carte mémoire photographique permet de dater la vue, en l’occurrence l’automne 2017. Personne ne n’en soucie vraiment mais quand elles sont de dimensions raisonnables, les pubs égaient aussi la rue.
L’ensemble de ces panneaux commerciaux dispose d’une autre caractéristique. La paroi vitrée qui les protège reflète les alentours. La vie extérieure se mêle ainsi au propos. Ce qui fait que jamais, de jour comme de nuit et suivant les variations de la météo, le panneau n’est inerte. Littéralement, l’écran de verre qui protège la pub filme son environnement, le fond dans sa propre organisation graphique. Tout comme le ferait la surface d’un étang, entre reflets et transparence.
Il arrive aussi que les systèmes déraillent. Car les dispositifs comportent un moteur interne qui fait s’enchaîner plusieurs réclames d’affilée, ajoutant encore une action supplémentaire à ce qui vient d’être recensé. Mais comme les rouleaux de papiers ne sont pas si dociles, la mécanique, de temps à autre, se grippe. Dans ce genre de cas la vue change encore comme cette publicité Balenciaga qui se plisse et apporte un ondulé imprévu à ce qui est déjà un style vestimentaire.
Dans d’autres cas c’est carrément l’incident nucléaire. Toute l’horlogerie se détraque et en lieu et place d’une annonce pour Badoit ou d’un voyagiste quelconque, c’est une succession de tubes au néon qui apparaît, dévoilant les modestes arcanes d’un système conçu pour nous impressionner durablement les rétines et nous faire finalement les poches avec une dextérité efficace quoique différée. Que ces engins ne soient pas parfaits a tout de rassurant. Les technologies se plantent il y a toujours un vice intrinsèque et, si elles ne le faisaient pas, ce serait signe que les temps sont proches.
En d’autres circonstances, leur inscription dans le paysage est cohérente avec la complicité involontaire du décor. Un jour triste, froid et gris de 2016, la place Rhin et Danube exhibait son triste étal. Mais juste au-dessus de l’entrée de métro portant presque le même nom, il y avait une publicité fort colorée pour un fabricant de valises. On y voyait mis en scène, un couple tout à la joie se déplacer le long d’un pont. Elle portait une robe bleue. Et lui tenait sur sa tête une valise rouge ce qui est moins déprimant on en conviendra que les engins à roulettes. Beaucoup de gens connaissent cette place, y compris une ancienne ministre de la l’éducation qui habite juste à côté. Beaucoup de gens y descendent tous les jours sous terre en empruntant les escaliers de la seule bouche de métro qui les aspire comme un monstre qu’elle est.
Et ce jour-là, avec une idée exprimée de congés, de fuite des plus plaisantes, la pub leur adressait le symétrique inverse d’une journée de labeur accompagnée de ses composants nocifs. « Tiens oui si on partait en vacances » se disaient peut-être les usagers du métro avant d’être happés sous terre.
Tout ça pour dire pêle-mêle que la publicité nous parle et pas seulement de travers, qu’elle nous donne le mois et l’année si on la photographie, que par ailleurs c’est la dernière parution des Soirées de Paris avant un retour le 3 janvier et qu’enfin, avec 15 jours d’avance, nous souhaitons à l’ensemble de nos lecteurs un bon rétablissement avant de repartir pour un tour.
PHB
« Tu lis les prospectus les catalogues les affiches qui chantent tout haut/Voilà la poésie ce matin et pour la prose il y a les journaux ». Apollinaire dans « Zone ».
Merci pour ce billet très enlevé et savoureux (comme le sont souvent vos billets) et très belle fin d’année à vous ainsi qu’à l’équipe !
Et Cendrars d’ajouter (in « Aujourd’hui ») :
« Avez-vous déjà pensé à la tristesse que représenteraient les rues, les places, les gares, le métro, les palaces, les dancings, les cinémas, le wagon-restaurant, les voyages, les routes pour automobiles, la nature, sans les innombrables affiches, sans les vitrines (ces beaux joujoux tout neufs pour familles soucieuses), sans les enseignes lumineuses, sans les boniments des haut-parleurs, et concevez-vous la tristesse et la monotonie des repas et des vins sans les menus polychromés et sans les belles étiquettes ? Oui, vraiment, la publicité est la plus belle expression de notre époque, la plus grande nouveauté du jour, un Art. »
Merci @l’an prochain
Cela s’appelle finir l’année en beauté. Merci, Philippe, pour votre beau billet coloré et bonnes fêtes de fin d’année à tous.
Merci Philippe pour cet article plein d’humour. Et photographiant parfois les reflets des alentours renvoyés par les vitrines, j’ai beaucoup aimé.