Aller voir un film de Robert Guédiguian, c’est un peu le repas de famille du dimanche. On y retrouve les acteurs habituels plus quelques pièces rapportées selon les libertés prises par le casting. À chaque fois réalisateur s’efforce cependant de réunir ses pairs fidèles autour d’une nouvelle histoire où la générosité humaine tient lieu de carburant. Dans une société moderne qui manque à ce point de bienveillance que le mot est désormais distribué partout, « la villa » ne pouvait que rencontrer un succès prévisible.
Cette histoire bien montée – malgré au moins une réserve sur la longueur entendue en salle – comportait donc une surprise. Robert Guédiguian a en effet inséré tout à la fin de son film, une séquence d’archives où l’on pouvait voir Ariane Ascaride, Jean-Pierre Darroussin,Gérard Meylan et Jacques Boudet installés -sauf erreur- dans une Peugeot 404. Ils doivent avoir un peu plus de 20 ans. Les images nous montrent, sur une musique contaminante de Bob Dylan, une bande de copains qui ne soupçonnaient peut-être pas alors la longévité à venir de leur amitié. Ils faisaient route vers cette fameuse calanque avec cette villa qui fait à la fois le titre et le point milieu du film. Cette séquence fait mouche parce qu’elle nous renvoie à nos propres années où le permis de conduire était l’un des sauf-conduits d’une liberté dont il fallait profiter sans économie d’énergie.
L’habileté de cette « villa » est donc de nous interpeller sur la famille et notamment par le biais d’un accident vasculaire cérébral qui statufie d’un coup le père d’une sœur et ses deux frères. C’est autour de cet événement que Robert Guédiguian a tricoté une histoire, ajoutant dans les mailles, une noyade au début, un double suicide et quelques ingrédients migratoires sur la fin. Le tout a la consistance d’une bonne soupe de poissons, roborative à souhait.
Hormis un pêcheur de rougets aux limites du crédible en ce qu’il connaît par cœur (et par amour pour le personnage de Anne Ascaride), nombre de pièces du répertoire théâtral, les rôles sont bien campés, chacun étant impeccable dans son registre. Guédiguian c’est du solide. Il est compréhensible que les gens se déplacent pour cette sorte de garantie foncière où la dimension humaine, modeste et généreuse à la fois, prend une place considérable. Dans « la villa » elle est seulement concurrencée par cette calanque de charme qui pose une frontière à l’histoire. Se surajoute cet accent du sud qui depuis Pagnol souligne d’un trait sentimental les dialogues. Une mélodie orale qui complète la bande-son.
Dans la filmographie de Robert Guédiguian, on pourra néanmoins préférer le très bon « Voyage en Arménie » (avec les mêmes) sorti en 2006. Là aussi, un père malade faisait le repère central du scénario, mais l’histoire était davantage efficace, sans doute en raison d’une composition où l’en entendait aussi crépiter des mitraillettes, où le réalisateur nous introduisait dans les milieux louches et même criminels d’une Arménie post-soviétique peinant à retrouver son passé de pays prospère. Pour ces deux films, l’aller et retour géographique n’est pas dû au hasard puisque Marseille a été l’un des points de refuge de la diaspora arménienne.
En retournant avec ses complices dans l’intime calanque de Méjean, en incluant avec génie des images d’archives décolorées, Guédiguian nous donne l’impression d’achever une boucle. Et tout son défi va être désormais de se trouver un nouveau départ, une nouvelle direction, sauf à courir le risque de planter un jour ses caméras dans la salle commune d’une maison de retraite à l’heure déprimante où l’on distribue le goûter. Fût-ce à Marseille ou Erevan.
PHB