La beauté du site, particulièrement photogénique, n’avait pas échappé au cinéaste Ozu qui y a filmé son « Voyage à Tokyo », en 1953. Cinquante ans plus tard, Wim Wenders, venu en pèlerinage dans les pas d’Ozu, était séduit à son tour par le port d’Onomichi sur la mer intérieure du Japon. Il lui consacrait un recueil de photos et poésie : « Journey to Onomichi ».
(Image ci-contre: Onomichi anciens entrepôts réhabilités)
Onomichi, ville de 140 000 habitants, située à 600 kilomètres à l’ouest de Tokyo dans la préfecture d’Hiroshima, est pourtant peu mentionnée dans les guides de voyage. Lorsqu’elle l’est, c’est souvent pour évoquer les bâtiments industriels et immeubles banaux qui ont défiguré le petit port pittoresque et paisible d’autrefois. À moins qu’on ne parle de la piste cyclable du Shimanami Kaido. Il s’agit d’un ensemble de ponts élégants, praticables à vélo, qui relient Onomichi (île de Honshu) à Imabari (île de Shikoku) par le biais de six petites îles de la mer intérieure. En un ou deux jours, suivant l’acérure de ses mollets et les pauses faites en chemin pour admirer les curiosités touristiques et le paysage, on peut parcourir les 70 km qui relient Honshu à Shikoku (NDLR : deux des quatre plus grandes îles du Japon). Cette magnifique randonnée cycliste, à 50 mètres au-dessus de la mer, a de quoi faire chavirer un cœur sportif ou voyageur.
Mais Onomichi a d’autres charmes à dévoiler. Et bien qu’elle n’ait pas encore fait son coming-out touristique, cette ville admirable regorge de trésors. On la surnomme parfois, « petite Kyoto » tant elle possède de temples anciens. Depuis le Moyen-âge, Onomichi a prospéré en tant que port et les riches marchands ont au fil du temps financé la construction des temples dont elle est couverte. A l’instar de Tokyo, Onomichi a son chemin de la philosophie et son chemin de la littérature, juchés sur les hautes collines au nord de l’agglomération. Leur sommet est atteint en quelques minutes par un téléphérique à moins qu’on ne préfère gravir à pied les raidillons qui y mènent. Là, un observatoire offre une vue imprenable sur la baie et les îles de la mer intérieure. Là, Senko-ji, le temple du IXe siècle emblématique d’Onomichi, fait vibrer sa couleur vermillon et le son unique de sa cloche dans la verdure environnante. L’esprit élevé par tant de beauté, on peut s’engager léger sur le chemin de la littérature qui s’étend à ses pieds et descend jusqu’à la ville en contrebas. Une belle flânerie sylvestre, rythmée par 24 stèles sur lesquelles sont gravées des citations mémorables d’auteurs japonais qui ont aimé Onomichi.
Comme les grands esprits, le chemin de la littérature et le chemin de la philosophie se rencontrent. Le chemin de la philosophie relie 25 temples anciens par des chemins escarpés qui serpentent sur trois kilomètres et se perdent dans un embrouillamini de surprises pittoresques. Car, en plus des temples et pagodes à étages de toute beauté, on découvre dans la végétation parfois luxuriante des hauteurs, des cimetières à flanc de colline, des chats lovés dans des lanternes de pierre millénaires, des petits cafés arty, des ateliers d’artistes, des statues de bouddhas coiffées de bérets rouges et des centenaires japonais en promenade, parfois cigarette au bec. Partout, les toits majestueux des temples surplombent le centre-ville d’Onomichi en contrebas.
On l’atteint en descendant des escaliers vertigineux et en empruntant parfois des venelles alignées d’un enchevêtrement d’anciennes maisons de bois qui débouchent rapidement sur la mer. Au centre-ville, on découvre une autre surprise de taille : la rue Hondori. Une galerie marchande couverte et piétonne qui traverse Onomichi sur toute sa longueur. Ne vous y trompez pas, elle n’a rien à voir avec nos insipides centres commerciaux. Presque à l’abandon il y a quelques années, Hondori a retrouvé son allant et une architecture attrayante grâce au dynamisme des habitants et à une association de réhabilitation des maisons et commerces historiques. Ainsi, des pâtisseries (très courues par les Japonais ces dernières années), des boutiques design et des restaurants et cafés tendance sont venus s’installer à côté des magasins figés dans les années 1960, des bars à bière et à saké traditionnels et des auberges familiales sans cachet où l’on s’agglutine pour dévorer les délicieuses Ramen d’Onomichi (soupe de nouilles). Et ce curieux mélange de désuétude poétique et de style tendance a un charme fou. D’autant plus que la qualité et la variété des produits artisanaux et gastronomiques est là : belles cotonnades à motifs traditionnels, céramique faite main, algues et produits de la mer, … On peut passer des heures à flâner dans la galerie Hondori à la recherche d’un objet rare, tout en goûtant à de nombreuses spécialités culinaires.
Avant de quitter Onomichi, il restait une dernière chose à faire. Retrouver l’hôtel traditionnel en bois dans lequel Ozu a filmé « Voyage à Tokyo ». En arpentant longuement le bord de mer côté est, on y est parvenu. L’hôtel est toujours là, inchangé. Il n’a pas été restauré, il n’a pas été transformé en musée. Il ne se visite pas. Et, si aucune plaque ne mentionne le nom du cinéaste, il semble toujours habité par l’âme du cinéma d’Ozu, une mélancolie parfois douce parfois chagrine qui imprègne encore certains quartiers de la ville.
Lottie Brickert
Merci pour votre article… j’avais oublié y être allé il y a déjà 32 ans !
Concernant Ozu, et l’absence de plaque sur le fameux hôtel… j’ai une anecdote qui en dit long sur ce qu’être cinéaste veut dire au Japon. Faisant un « voyage officiel », j’avais le droit de demander une « visite privée » selon mes centres d’intérêt. J’avais donc voulu rencontrer des amis d’Ozu et des lieux évoquant l’immense artiste… Le représentant du ministère des affaires étrangères japonais, qui parlait un français remarquable, et connaissait Sartre et Foucault dans le texte, et qui était fan de Duras et de Truffaut, m’avait surpris en me disant dédaigneusement (attitude rare pour un Japonais) : « ça vous intéresse vraiment ? »… et m’avait proposé de rencontrer plutôt un dessinateur de mangas !
Merci pour ce beau voyage.
Encore une fois, je suis époustouflé de voir ta capacité à dénicher des lieux originaux, vrais, qui sortent des sentiers battus. Merci.
Merci à vous de prendre le temps de suivre mes circumambulations terrestres. Partager mes coups de coeur est un plaisir.