Un jeune homme conduit une voiture dans laquelle se trouvent deux femmes et un monsieur. L’action se déroule dans l’Algérie moderne. L’une des passagères se rend à son propre mariage. Le chauffeur s’appelle Djalil. Il est amoureux de la future mariée. Il accomplit donc un job étrange consistant à livrer à un autre la femme qu’il aime en silence. Ce n’est pas la scène la moins étrange du film « En attendant les hirondelles », qui vient de sortir en salle. Une réussite.
D’abord, le long et oui, bienheureusement long métrage de Karim Moussaoui, est inédit dans les choix de fabrication. Il est tourné comme on écrit un livre, racontant lentement trois histoires reliées entre elles par un fil ténu. Rien de ce qui contient un film conçu pour le succès n’est là. Pas de ces petites trouvailles marrantes qui font les bonnes bandes annonces. Pas les intrigues interchangeables censées nous embarquer avec les ficelles habituelles. Pas non plus de tempo savamment dosé entre plans lents et embardées calculées. Et même pas de scènes de chair qui viendraient garnir les alcôves cinématographiques convenues, entre chambre à coucher et salle de bains. Non, « En attendant les hirondelles », est un film original, profondément original, dans un décor qui alterne le banal des villes, l’insignifiance des appartements, à des paysages minéraux par ailleurs magnifiques. Rien que la balade dans cette Algérie méconnue, où l’on parle un mélange d’arabe et de français, vaut le déplacement.
Le départ a quelque chose de déroutant car l’on se demande bien où le réalisateur veut nous emmener. Mais petit à petit, ça fonctionne avec une progression qui devient très attachante. Le premier volet concerne un père de famille. Un grand échalas qui promène son âge et ses soucis sur son dos voûté. Il est témoin un jour d’une scène violente au pied d’immeubles en construction. Il n’intervient pas et le voilà avec nous confronté au dilemme de la lâcheté par opposition à l’intervention: préserver sa propre vie ou voler au secours d’une victime qui se fait tabasser sur un chantier. Sa femme, sa fille, son fils, son appartement, son goût de la musique classique, autant d’éléments qui constituent ce premier volet. La première habileté de l’auteur est de nous mettre à l’aise dans cette succession de scènes insolites autant que banales. La suivante est de passer habilement à la deuxième histoire par le simple truchement d’une conversation entre l’homme et l’un de ses ouvriers.
C’est là que l’on fait la connaissance du personnage recruté comme chauffeur et qui doit conduire la femme qu’il aime à l’homme qui lui a été promis comme époux. C’est une bête intoxication alimentaire qui va faire basculer leur destin. Car le père de la future mariée doit être hospitalisé. Il confie alors au chauffeur le soin de loger sa fille à l’hôtel et de prendre deux chambres. Après une très belle scène dans un dancing, les deux jeunes gens regagnent leur chambre et c’est elle, face au garçon timide, qui va l’inviter dans sa chambre. On n’en verra pas plus et c’est tant mieux. « En attendant les hirondelles » est un film dont la pudeur entre dans la composition de son ciment.
Lorsque l’on aborde la troisième partie du triptyque cela fait longtemps que l’on ne s’interroge plus sur la qualité du film. Nous sommes conquis par sa lenteur, son innovation insigne et ses intermèdes musicaux entre morceaux classiques, locaux et néo-locaux. Cette dernière séquence nous parle d’un médecin face à un petit garçon issu d’un viol collectif dont le premier a été le témoin. Confronté à lui-même, à la mère de l’enfant et à l’enfant, l’acteur et son personnage nous livrent ici quelque chose de très humain et d’assez fort, sans pour autant que l’on nous assène un de ces pathos à tirer des larmes. « En attendant les hirondelles » est un long métrage bien trop subtil et c’est la très (très) bonne surprise de cette fin d’automne.
PHB
« En attendant les hirondelles » de Karim Messaoui, sorti le 23 novembre