Quand le bateau cule, il rebrousse chemin. S’il recule il recommence l’opération. Il est aussi possible de dire qu’il fait marche arrière (toute), qu’il fait demi-tour ou qu’il retourne à son point de départ. Mais, et c’est là tout l’objet de la rubrique du jour, il ne pratique pas « un retour en arrière », formule qui sort à tort et à travers de toute expression publique. En effet, le retour à lui-seul signifie bien que l’on s’éloigne de l’avant. Le « retour en arrière », c’est comme le « tri sélectif », un premier mot pour signifier une chose et un second attaché comme un wagon pour bien appuyer le propos. C’est la définition du pléonasme.
L’emploi du « retour en arrière » est donc assez agaçant. Sur Google on dénombre pas moins de 10 millions d’occurrences. L’autre façon de voir les choses c’est que le « retour en avant » est assez rare, sauf dans un cas. Imaginons un soldat qui se battrait sur les lignes avancées et qui passé le temps d’une pause à l’arrière opérerait un retour vers l’avant, c’est effectivement possible. Mais dans la plupart des cas, ce n’est pas ce que les orateurs variés veulent dirent. Ils additionnent deux vocables portant la même signification et semble-t-il, ce triste phénomène n’est pas près de s’arrêter.
Maintenant que c’est dit, il n’est pas question de culer vers le début du texte sauf à se contredire ce qui ajouterait à l’énervement général et affaiblirait l’accusation d’abus de langage. A la rigueur l’on pourrait reculer pour mieux sauter c’est à dire réfléchir deux fois avant de se lancer mais cette chronique ayant déjà largué ses amarres incertaines, il faut impérieusement filer plein cap vers l’avant avec tous les risques que cela comporte.
Le « retour en arrière » est toujours prononcé avec une intention péjorative, pointant en filigrane une régression dommageable pour les premiers de cordées et autres névrosés du sur-place ou maladivement anxieux de l’avenir. L’expression laisse aussi entendre que ceux qui seraient, à la réflexion, tentés de regagner leur base n’appartiendraient au fond qu’à la très vilaine caste des réactionnaires.
Dans ses « Pensées d’un emballeur » l’écrivain, journaliste, dramaturge et producteur de calembours, Jean-Louis-Auguste Commerson (1803-1879) postulait qu’une: « tortue mérite plus d’estime que certains réactionnaires conservateurs (avec pléonasme donc)« car « au moins, elle marche ».
Ainsi ceux qui s’époumonent aujourd’hui à dénoncer toute manœuvre s’apparentant à un « retour en arrière » ne désignent-ils qu’une seule possibilité: aller de l’avant avec les zélateurs du progrès en marche. Celui qui s’attarderait en terrasse d’un bistrot, devant un verre d’Anjou et une cigarette à la main avec l’idée de regagner ses pénates, commettrait dès lors une double faute. Car l’idée sous-jacente c’est aussi que le stationnement dans le présent est une erreur morale et que tout projet d’aller buller vers l’arrière, voire dans les coulisses de l’arrière, est un péché contre une époque unidirectionnelle. Les personnes concernées seraient même bonnes à enfermer dans des bocaux de formol comme l’a souligné un jour avec une aménité toute relative le principal édile de Paris.
Dans un « Taxi pour Tobrouk », Audiard avait fait dire à un des protagonistes que deux « cons qui marchent » iraient toujours plus loin que « deux intellectuels assis ». Comme quoi il faut également se méfier des formules et encore plus du préjugé contre les formules. Mais le pléonasme quant à lui ne sera jamais un progrès pour la langue, c’est un point acquis. Comme les écrevisses il marche à reculons. Et pour ceux qui ont tenu bon jusqu’au bout de ce billet d’humeur, il faut savoir en outre que le pléonasme s’apparente à la périssologie, soit, selon le Robert Culturel, « une manière de répéter inutilement une idée déjà énoncée ». C’est pourquoi il est temps de conclure.
PHB
Un regal!
formidablement formidable 🙂
Merci, merci, une fois de plus!
Quel beau billet pour commencer la semaine avec le sourire. Merci, Philippe!
Superbe exercice de style Merci Philippe
Tout pareil ! C’est bon de se sentir moins seul.
Et de préciser à mes étudiants qui du coup, eux, se sentent perdus, qu’on ne traduit pas « flash back » par « retour en a… » mais éventuellement par « effet retour », un peu comme l’ « effet rétro » au billard.