Un tirailleur sénégalais enterré dans le caveau d’une famille de la haute bourgeoisie française, un mort au registre plus vivant que mort bien qu’à la gueule cassée, des milliers de cercueils pas plus longs qu’un mètre soixante ensevelis au petit bonheur la chance par des Chinois ne lisant pas le français, des commandes de monuments aux morts jamais honorées… tel est l’après-guerre de 1918 raconté par Pierre Lemaitre dans son roman “Au revoir là-haut”, Prix Goncourt 2013, et aujourd’hui porté à l’écran avec maestria par Albert Dupontel dans le film du même nom.
Le roman de Pierre Lemaitre “Au revoir là-haut” – n’ayons pas peur des mots – est une merveille d’intelligence, d’humour, de suspense et de poésie qui ne demandait qu’à être portée à l’écran. Extrêmement bien écrit qui plus est. Dans un style d’une grande fluidité. Si certains Prix Goncourt peuvent parfois laisser le lecteur sceptique, celui-ci est amplement mérité.
Né en 1951, auteur à part entière depuis une petite dizaine d’années seulement, connu essentiellement pour ses romans noirs et ses polars – avec notamment la tétralogie Verhoeven composée de “Travail soigné”, “Alex”, “Rosy & John” et “Sacrifices”, mais aussi “Robe de marié” ou encore “Cadres noirs” –, l’écrivain, avec “Au revoir là-haut”, passait à un tout autre registre : le roman picaresque. Un livre fou, basé sur une véritable histoire d’escroquerie, comme il y a pu en avoir beaucoup à l’époque se prend-on à imaginer. La Première Guerre Mondiale fut une horreur certes, mais l’après-guerre ne fut guère plus reluisant avec ses gueules cassées, ses blessures à jamais béantes, ses familles endeuillées et ses profiteurs en tout genre. Le roman de Pierre Lemaitre nous donne à voir une réalité qu’on aurait voulu occulter. A travers des personnages hauts en couleurs – certains, extrêmement attachants, d’autres, détestables à souhait, aucun ne laissant le lecteur indifférent –, l’auteur nous entraîne avec beaucoup d’humour et de suspense dans une histoire abracadabrante où la petite histoire rejoint la grande Histoire. Des tonnes d’amour et de tendresse rendent, par ailleurs, le récit extrêmement émouvant.
Pour porter ce formidable et foisonnant roman à l’écran, restituer fidèlement l’univers fantasque de l’œuvre littéraire, il fallait donc un réalisateur, non seulement talentueux, mais aussi totalement atypique. À la démesure du projet. Albert Dupontel (ci-contre), avec son ton décalé, sa fantaisie et son sympathique grain de folie, semblait, en effet, le réalisateur tout trouvé. Avec “Au revoir là-haut”, il est fidèle à lui-même tout en passant à un cinéma plus exigeant. Si l’on y retrouve avec plaisir l’humour grinçant, l’aspect burlesque ou encore le côté déjanté de ses précédents films – pour mémoire : “Bernie”, “Le Créateur”, “Enfermés dehors”, “Le Vilain” et “9 mois ferme” –, il est incontestablement passé à une dimension supérieure, notamment dans sa manière de filmer des scènes à grand spectacle, comme celles des champs de bataille.
Même s’il peut sembler impossible de restituer toute la richesse d’un roman de plus de six cents pages en près de deux heures de film – la difficulté de l’adaptation cinématographique d’une œuvre littéraire, vaste sujet… D’ailleurs, les changements fort intéressants apportés par le réalisateur au récit initial mériteraient à eux seuls un article en soi. –, Albert Dupontel semble être allé aussi loin que possible dans l’entreprise, signant également le scénario, avec la contribution de l’auteur.
Pour incarner les personnages forts en caractère du roman, le réalisateur s’est appuyé sur un casting d’exception ainsi que sur les merveilleux masques de Cécile Kretschmar, créatures à part entière. Les comédiennes et comédiens sont tous excellents. L’interprétation du soldat Maillard par le réalisateur lui-même, reprenant le rôle deux mois avant le début du tournage après le désistement de l’acteur pressenti, aurait pu nous rendre dubitatifs, compte tenu que l’acteur a deux fois l’âge du personnage, mais il n’en est rien. Dupontel est en tout point crédible tant il est juste, sincère, doté d’une réelle candeur et d’une belle générosité. Nahuel Pérez Biscayart, son acolyte, qui avait déjà excellé dans “120 battements par minute” de Robin Campillo, est tout simplement extraordinaire d’intensité et de sensibilité. Dans un rôle quasi muet, aidé il est vrai par les magnifiques créations baroques de Cécile Kretschmar, il incarne un être éthéré d’une poésie pure et provoque chez le spectateur une émotion intense. Sa dernière scène est d’une beauté à couper le souffle. Le beau Laurent Lafitte met son talent et son charme au service d’une ordure de la pire espèce qu’il incarne on ne peut mieux. A se demander s’il nous a semblé un jour sympathique… L’enfant qui joue Louise, Héloïse Balster, fait montre d’une belle présence. Les personnages secondaires ont aussi toute leur importance. On ne saurait les citer tous. Ainsi Michel Vuillermoz excelle-t-il dans le rôle d’un fonctionnaire très zélé.
Et puis, gardant le meilleur pour la fin : que dire de Niels Arestrup ? Arestrup… Ce monstre sacré, en vieillissant, devient non seulement de plus en plus beau, mais a, semble-t-il, atteint la perfection de jeu. Un lion à la crinière blanche (ci-contre), au regard bleu perçant qui, sous une voix à la fois grave et douce, dégage une autorité impressionnante à laquelle personne n’a envie de se frotter. Le moindre regard en dit long. Chacune de ses scènes est un petit bijou d’intelligence et d’humour. Ses échanges avec Philippe Uchan – dont on peut également saluer la talentueuse interprétation d’un Labourdin pas très malin – sont d’une drôlerie extrême. Sa dernière scène est déchirante.
Saluons également les décors, les costumes, l’image et la musique qui contribuent à l’esthétique du film. La fête au Lutetia a la magnificence de celles de Gatsby.
La grande réussite de ce film, comme du livre, est de porter un autre regard sur la Grande Guerre et ses horreurs. Si le spectateur condamne les magouilles de Pradelle, il ne peut qu’éprouver de l’empathie pour les deux héros et le désir de mettre un peu sa morale de côté. Comme dans “L’Arnaque” ou “Butch Cassidy et le kid” de George Roy Hill dans un tout autre registre, il existe des malfaiteurs touchants et sympathiques à qui on ne peut que souhaiter de s’en sortir. Ici pas de misérabilisme, mais de la miséricorde. Une fantaisie qui fait du bien. A voir et… à lire.
Isabelle Fauvel
“Au revoir là-haut”, un film d’Albert Dupontel (2017), avec Nahuel Pérez Biscayart (Edouard Péricourt), Albert Dupontel (Albert Maillard), Laurent Lafitte (Lieutenant Pradelle), Niels Arestrup (Marcel Péricourt), Emilie Dequenne (Madeleine Péricourt), Mélanie Thierry (Pauline), Héloïse Balster (Louise), Philippe Uchan (Labourdin)…
“Au revoir là-haut”, un roman de Pierre Lemaitre chez Albin Michel, Prix Goncourt 2013.
“Au revoir là-haut”, une bande dessinée de Pierre Lemaitre et Christian De Metter chez Rue de Sèvres, 2015.
Merci de nous faire revivre ce grand moment de cinéma
Merci, j’irai le voir dès qu’il passera près de chez moi !
Belle chronique pour un film époustouflant qui ajoute sans rien retrancher au roman déjà magnifique. Rares sont pourtant les adaptations où l’on gagne à l’image…
Même avis sur la prestation de Niels Arestrup qui gagne en épaisseur au fil de ses apparitions. Un film à voir qui suscite l’envie de relire l’ouvrage !