L’un de ses trucs était de préparer un surmulet en le noyant dans le garum. Le surmulet est un rouget à moustaches. Le garum était un condiment antique, un brouilli-brouilla de restes de poissons, viscères compris. Apicius aimait l’extravagance culinaire qui se caractérisait notamment par un zeste de cruauté à l’égard des animaux. Les recettes de cet homme qui vivait sous Tibère soit avant et après Jésus-Christ viennent de ressortir aux éditions des Belles Lettres.
Dans sa préface Jacques André nous explique que ce riche personnage avait inventé les plats à base de talons de chameau, de langues de paons et de crêtes coupées sur des volailles vivantes. Hormis quelques témoignages notoires, tout ce qui nous reste de lui se limite aux descriptifs de préparations culinaires variées. En 1927, un allemand dénommé Brandt avait exploré le sujet en publiant un livre sur la cuisine antique et dont le sous-titre revendiquait une exploration de l’énigmatique Apicius. Il n’est même pas sûr nous est-il précisé que l’ensemble de ses recommandations lui appartiennent tout du moins lui sont-elles attribuées. En tout cas, elles suscitent des interrogations car ses notices pèchent parfois par un côté obscur probablement dû aux deux dizaines de siècles qui se sont écoulées depuis son suicide par empoisonnement.
Les recettes d’Apicius se compliquent en outre par la nécessité de se livrer à du calcul mental puisque les volumes utilisés sont totalement obsolètes. Il faut ainsi savoir que le setier correspond à un quarante-huitième d’amphore et que l’amphore elle-même faisait un peu plus d’un demi-litre. Les masses quant à elles se comptaient en livres, onces, drachmes et scrupules, ces derniers correspondant à un vingt-quatrième d’once. Le mieux sera sans doute, si l’on veut se lancer, de tout porter sur un tableur informatique.
Sur presque 300 pages, l’ingrédient auquel il est quasi impossible d’échapper c’est le garum, mais étant donné qu’il serait apparenté au nuoc-mam, il doit être possible de simplifier, toujours en cas de projet de passage à l’acte. En revanche pour le laser, plante médicinale largement utilisée dans les préparations de cette époque, une fiche Wikipédia nous apprend que l’ingrédient a purement et simplement disparu au Ve siècle. Il est donc inutile d’aller torturer un herboriste pour se procurer, par exemple, quelques feuilles du laser de Cyrénaïque que Apicius recommandait de mouiller avant de cuisiner des vulves de truies. Un tel plat n’est d’ailleurs pas sans rappeler les orgies décrites par Goscinny pour son album d’Astérix en Suisse. Un addendum en fin d’ouvrage éclaire heureusement les audacieux prêts à tous les défis mais parfois, soit parce qu’elles sont lacunaires, soit parce l’histoire a rendu certains éléments indéchiffrables, certaines fiches (comme dans « Elle ») déboucheront sur des impasses, même pour les plus obstinés. Tel un rébus, il faudra deviner, voire improviser.
Ce livre est comme une croisière étrange dans l’antiquité, un voyage dans l’espace et le temps. Quand le lecteur a de probables origines latines, il peut ressentir un curieux stimuli dans les replis de son ADN. La version qui vient d’être publiée remonterait selon le préfacier à l’an 400. Une traduction en a été faite en 1974 dans la Collection des Universités de France.
Ce qui est dommage c’est de si peu en apprendre sur cet Apicius dont la réputation relative à ses mœurs n’était pas bonne. Le fait qu’il aimât les huîtres et les gâteaux n’est pas suffisant pour le profiler façon police judiciaire. Sénèque a dit qu’il dépensait des « sommes folles » pour assouvir son appétit créatif. Et que le matin où faisant ses comptes il découvrit qu’il ne lui restait plus que dix millions de sesterces, il préféra mettre fin à ses jours par empoisonnement au grand soulagement des stoïciens et des chrétiens qui déploraient en se pinçant le nez sa vie de débauché. Il nous reste de lui cet héritage si déroutant à partir duquel il est encore possible de préparer un déjeuner de famille le dimanche avec des poumons de lièvre au garum, une patina de coings avec du défritum (condiment à base raisins) ou encore du chevreau au laser. Au moins ces plats ne comportaient-ils ni gluten ni colorant ni blé transgénique, ni herbicide, ni directive de Bruxelles.
PHB
« Apicius L’art culinaire » Les Belles Lettres 2017 17 euros
J’ai eu l’occasion de tester quelques recettes d’Apicius qui sont effectivement assez obscures… On y parvient mieux avec l’aide du beau livre de N.Blanc et A. Nercessian « La cuisine romaine antique » (Glénat/Faton) qui a adapté de façon sérieuse (CNRS) de nombreuses recette romaines en les testant, quelquefois non sans risques!
À noter aussi dans cette cuisine la présence aussi fréquente que le garum, de la rue (ruta), une plante aromatique que l’on trouve dans les régions méditerranéennes.
Merci, je me suis régalée, comme d’habitude.