Un crayon à Drancy

Georges Koiransky débarque au camp de Drancy en 1942. Il est transféré sur d’autres sites français d’internement puis il retourne dans le premier selon une logique obscure. Il transpose au crayon ce qu’il y voit. Pour mieux capter la vie des internés, il est volontaire pour des corvées. Dans un dessin saisissant, il fige cette vision de cauchemar. Avec ce wagon, un enfant qui en descend sans ses parents et ce qu’il aperçoit: un comité d’accueil, notamment composé de gendarmes. Il y a peu de photos de Drancy, ce camp de transit vers un enfer plus fort encore. Les images actuellement exposées au mémorial de cette ville n’en ont que plus d’importance.

Georges Koiransky y débarque parce qu’il a été dénoncé. La délation n’ayant pas attendu les réseaux sociaux. Cet homme est né en 1900 à Saint-Pétersbourg. Il a été naturalisé français en en 1925. Il a été dessinateur chez l’aviateur Farman. Sur place il fait la connaissance de René Blum (le frère de Léon mort à à Auschwitz en septembre 1942) qui lui suggère de dessiner tout ce qu’il voit. Après-guerre Georges Koiransky publie sous pseudonyme un livre intitulé « Le camp de Drancy, seuil de l’enfer juif », sans trop de succès. La réhabilitation de son travail, visible depuis le 17 septembre et jusqu’au 15 avril 2018 au Mémorial de la Shoah de Drancy, nous oblige.

De cet immeuble moderne on voit très bien depuis le troisième étage ce qu’il reste de la cité de la Muette. Au moment de la création du camp, les immeubles construits avant-guerre sont vides. Ils sont utilisés par l’occupant et l’État français (de Vichy si on veut) pour y parquer les juifs et toute personne destinée à périr dans les camps de concentration de Pologne et d’ailleurs. Sauf quand ils mourraient sur place comme le poète Max Jacob. Quand la cité désormais classée a été rénovée, on y a trouvé des graffitis, des témoignages gravés dans la pierre. On peut les voir au sous-sol du mémorial en marge du travail de Georges Koiransky.

Graffiti « prélevé » à la cité de la Muette

Le travail qui nous est donné à voir est vraiment exceptionnel. On y découvre ces gosses qu’une autorité politique débile a choisi de mettre en péril. Le crayon restitue parfaitement cette solitude, cette angoisse que l’on devine chez ces enfants dont une légende précise qu’ils trimballaient parfois des bagages plus grands qu’eux. Impossible de ne pas être saisi, de ne pas avoir la gorge nouée, de ne pas se révolter enfin devant ce fait criminel. Georges Koiransky a accompli une œuvre méthodique. Il a dessiné les enfants, les femmes, les vieillards, les hommes et également ces gendarmes « prétentieux » qui veillaient à ce que personne ne s’échappe de cette épouvantable souricière.

Le crayon a également tracé les mots de son projet dans un journal. Georges Koiransky écrit en 1942: « Je transcrirai tout ce que je verrai. Nous dresserons le réquisitoire de cette inhumanité monstrueuse, de cette honte ineffaçable, de cette tache sanglante de Macbeth, de cette perversion démoniaque« . Il dit aussi qu’il se « méfie des gendarmes » et qu’il profite de la solidarité des internés qui savent à l’occasion faire écran, constituer un « rideau humain » pour masquer le travail qu’il est en train d’effectuer.

Quand on rentre sur Paris afin de rallier la porte de Pantin, on passe devant l’ancienne gare de Bobigny dont un panneau indique, sur un grillage, qu’elle a eu son rôle. Qu’à cet endroit précisément, des fonctionnaires du rail ont forcément vu défiler tous ces gens promis à la mort.

Dans la douce atmosphère de cet été indien, la commune de Drancy offre un visage paisible. Face au mémorial, à la cité de la Muette, il y a des enfants qui jouent, des adultes qui rentrent du travail ou du supermarché. Au sortir de cette exposition indispensable, face à ce cadre tranquille, avec l’époque incertaine que nous traversons, l’esprit tremble.

PHB

Mémorial de la Shoah, Drancy
110-112 avenue Jean-Jaurès
93700 Drancy
Tél. : 01 42 77 44 72

Dessin de Georges Koiransky à Drancy

Aspect actuel de la cité de la Muette vu du Mémorial de la Shoah

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3 réponses à Un crayon à Drancy

  1. PIERRE DERENNE dit :

    Terrible témoignage. Il y a sans doute quelqu’un qui, aujourd’hui, dessine les enfants de Gaza. Nous patienterons 75 ans pour voir ses dessins et lire un article…

  2. Lamentable comparaison. Une qui sème, sans s’en rendre compte consciemment peut-être, le fiel qui arrosera un jour une nouvelle shoah. J’avoue que je ne m’attendais pas à de tels propos sur les pages d’une publication aussi intelligente, sensible et belle que Les Soirées de Paris. Il semblerait que le fiel est partout, hélas.

  3. Merci, Philippe, pour ce bel article.

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