Numéro… de série

Hasards de l’actualité, le film de Tonie Marshall «Numéro Une» tombe à pic. Je veux parler bien sûr de «l’affaire Weinstein» quand le monde découvre (vraiment ?) le harcèlement sexuel, cette fois-ci dans le monde du spectacle. Oh là là, un homme si riche et si puissant… On se félicite, les langues se dénouent, les femmes parlent enfin. Mais après les cas Baupin et Strauss-Kahn par ici on attend toujours un vrai débat et une réelle remise en cause de la place de la femme dans le monde du travail. Et c’est précisément ce à quoi s’attelle Tonie Marshall, par ailleurs seule femme à ce jour à avoir reçu le césar du meilleur réalisateur (sic).

Pour rappel, les femmes composent 52% de la population mais représentent 34% des cadres d’entreprise et seulement 11% des cadres de direction et carrément 0% des cadres d’une entreprise du CAC 40. Pourtant elles ne sont pas chères, leurs salaires sont encore inférieurs de 23% à ceux de leurs alter ego masculins, l’écart se creusant dans les hautes sphères des directions…

Le titre exact du film est «Quel est le prix à payer pour devenir Numéro Une» et Tonie Marshall s’intéresse à la conquête d’une femme vers les sommets du CAC 40. Noble entreprise si elle n’était pas court-circuitée par le parti pris de traiter le sujet comme un thriller politico-financier et qui s’égare dans les méandres d’une campagne de lobbying avec toutes les chausses-trappes attendues. De fait, on se demande à l’arrivée si le féminisme revendiqué n’est pas que la cerise sur le gâteau et si la machine de guerre pour le pouvoir n’aurait pas été la même au service d’un homme, les perfidies sexistes en moins. Ce serait faire injure à la réalisatrice de dire que les femmes ne sont là que pour le décor car elle s’est manifestement bien documentée, notamment sur les réseaux féminins. Mais on a du mal à voir son héroïne comme une battante quand on a l’impression qu’elle est ballottée par les désirs des autres.

Et pourtant elle a tout pour elle Emmanuelle Blachey, brillante scientifique arrivée jusqu’au comité exécutif d’une grande entreprise du secteur énergétique, et surtout d’être interprétée par la lumineuse Emmanuelle Devos toujours très juste. La comédienne compose un personnage à l’opposé des harpies prêtes à tout, caricatures des femmes de pouvoir. Au contraire elle traverse le film sereinement, un sourire bienveillant aux lèvres et perchée sur ses Stilettos (escarpins aux talons de plus de 10 cm). Elle ne court pas vers le pouvoir, elle s’y dirige calmement. Seul l’omniprésent portable nous rappelle qu’elle est très occupée. Le hic, c’est qu’à force de nous la montrer patiente, aimable, cultivée, mère, fille et épouse irréprochable, toujours bien habillée (et cher), jamais décoiffée, on oublie en quoi elle est brillante et ambitieuse.

Les seuls moments où elle est admirable sont dans les rares joutes verbales avec le méchant, quand sans se départir de son calme elle botte en touche et déstabilise ainsi le macho qui fonctionne mieux à la violence. L’affreux Jean Baumel (Richard Berry), évocation moderne d’un Talleyrand mâtiné d’Edgar Hoover, ne fait pas dans la dentelle (et le scénario non plus) pour placer à la tête d’une grande entreprise de distribution de l’eau son poulain, plus doué pour l’allégeance que pour le rôle de PDG. Il a contre lui un club féministe, Olympe, au sein d’un réseau puissant bien décidé à placer enfin une femme, et qui fait le choix d’Emmanuelle Blachey, qui hésite puis se lance. S’ensuit une guerre des dossiers compromettants, forcément dégueulasse, dans laquelle la misogynie est une arme comme une autre. Et c’est par les femmes que Baumel perdra doublement, trahi par son complice qui lui crache ses échecs amoureux à la figure et passe dans l’autre camp (scène maligne sur la passerelle Simone de Beauvoir).

A vouloir mélanger les genres, Tonie Marshall s’égare et noie ce qui la motive au départ, montrer le scandaleux handicap d’être une femme pour grimper les marches du pouvoir. A l’origine elle voulait faire une série, d’où peut être des raccourcis de scénario qui ôtent toute finesse au film et relèguent ses personnages à des archétypes manichéens. Dommage car les seconds rôles sont incarnés par de superbes comédiens, dont Sami Frey, en père hospitalisé (pourquoi ?) et qui est bien le seul critique de ce capitalisme vorace dont sa fille s’accommode et de la vanité de la course au pouvoir. A ce sujet on ne saura pas si capitalisme et féminisme sont compatibles (ça n’en a pas l’air…).

Emmanuelle Devos, Richard Berry
© Marcel Hartmann

Au final, ce film un peu décevant mérite quand même d’être vu et même beaucoup vu. La notoriété de Tonie Marshall l’y aidera sûrement et c’est toujours réjouissant (et trop rare) de voir un film centré autour d’un personnage de femme de tête (et pas tête à claque). Peut être l’a-t-elle trop protégée son Emmanuelle Blachey, lui enlevant le mordant qui aurait donné au film la force qui lui manque.

Marie-Françoise Laborde

 

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3 réponses à Numéro… de série

  1. NATALIA DRYLL dit :

    J’ai trouvé le film esthétique, émouvant et rythmé. Il est juste à tous points de vu : acteurs, histoire et dialogue. Il donne la pêche même si le prix à payer est la probable perte du mari, ce qui prouve que le chemin pour accéder au pouvoir est encore douloureux pour les femmes. Je recommande vivement ce film!

  2. Philippe Person dit :

    Lisez « Hollywood Babylone » de Kenneth Anger et vous verrez que le cas Weinstein n’en est pas un.. Mais qui sont ces « oies blanches » parangons de vertus qui découvrent 100 ans après Folies de femmes de Stroheim qu’il y a quelque chose de pourri au pays des rêves ?
    Marilyn à quatre pattes sur le bureau de Louis B Mayer, ça ne vous dit rien ? Les prédateurs Kennedy détruisant Giene Tierney et tant d’autres, eux qui « venaient faire leur « marché » à Hollywood avec la bénédiction de leur papa Joseph, pourtant si bon catholique ? (C’est vrai qu’il ne faut rien dire de JFK, l’anti Trump !) (Mais qu’on se rappelle Guy Bedos racontant comment il a failli casser la figure à Bob qui commençait à entreprendre (en démocrate ?) Sophie Daumier dans un avion…)
    Bref, cette « naïveté » générale me pose problème… Quand j’entends Léa S dont les tontons sont les rois du cinéma français, j’ai du mal à comprendre qu’elle puisse aller voir un producteur dans sa chambre passé minuit pour… lire un scénario…
    sans savoir ce qui l’attend..
    Mes copines actrices m’ont toujours raconté qu’il y avait des castings à éviter quand on était pas prête à tout. Je pourrais vous faire la liste des Weinstein français (tiens pourquoi personne ne le fait ?)(et pourtant tout le monde les connaît). Des braves garçons souvent figures de proue contre la méchante populiste… Ceci explique peut-être cela…

    Le film de Tonie Marshall (qui m’a rappelé les films de Philippe Labro d’antan), c’est un peu pareil… Croire que l’égalité homme-femme, c’est 50 % de PDG femmes ou 50 % de générales dans l’armée !
    Moi, je préfèrerai qu’on se penche sur pourquoi les filles sont devant à l’école, et derrière dans l’entreprise… et s’en prendre aux petits chefs qui ont plus de pouvoir sur leurs employées qu’un Weinstein sur une comédienne qui vient d’elle-même lire un scénario dans sa suite pour obtenir un rôle avec plus de zéros à son contrat qu’une femme de chambre du Sofitel n’en verra jamais…

    • Je suis d’accord avec vous Philippe et c’est pour ça que je pense qu’on a surtout besoin d’un débat de fond sur le sexisme ordinaire dans le monde du travail.
      Et que le film de T. Marshall aurait gagné à creuser un peu plus ses personnages.

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