Kumi n’a que douze ans. C’est une japonaise qui vient, avec ses parents, de revenir au pays après un séjour à Hong Kong. Tous les matins elle a près d’une heure de trajet pour se rendre au collège. Un matin pas fait comme un autre, sur la ligne Yamanote-sen qui entoure Tokyo , elle sent un pouce qui passe de son cou à sa poitrine inexistante de très jeune fille. C’est son premier contact avec un tchikan, un de ces salary-men en cravate qui distraient leur quotidien en aventurant leurs mains sur le corps des écolières et des collégiennes, à la faveur des transports bondés. « Tchikan », qui vient de sortir aux éditions Thierry Marchaisse, est le récit poignant d’une femme de trente ans qui se souvient d’un calvaire de jeunesse banalisé par l’ampleur du phénomène.
A douze ans, on ne comprend pas. Quand elle sent quelque chose de dur contre elle, elle pense que c’est un parapluie. Trajet après trajet Kumi réalise qu’il s’agit d’autre chose. Car l’expérience se répète au quotidien, raconte l’auteur qui souligne que c’est bien la répétition d’une souffrance qui caractérise la torture. Elle en parle à son professeur qui compatit. Elle s’en ouvre à sa mère qui se demande s’il n’y pas quelque chose dans la façon de s’habiller de sa fille qui pourrait provoquer de tels comportements, induisant en cela un début de culpabilité.
« Tchikan » est raconté très simplement. Le texte s’aère de temps à autre de dessins explicatifs qui pourraient être jolis s’ils ne dénonçaient une réalité quand même insupportable. Kumi Sasaki raconte que les prédateurs dont elle a été la victime sont tous les mêmes. Que l’environnement des transports bondés favorise les attouchements subreptices, souvent beaucoup plus appuyés.
Le cerveau de la jeune fille ne cesse de s’interroger et finit par établir un rapport entre ce qu’elle peut lire dans les journaux et aussi certaines publicités tendancieuses. Un jour, elle finit ainsi par comprendre qu’elle est une sorte de « repas gratuit » car elle apprend que certaines jeunes filles finissent par se faire payer. D’ailleurs un soir elle est suivie par un « stalker ». Le stalker est celui qui suit. Celui qui quitte le train pour suivre tranquillement sa proie. Il est le pendant du tchikan, l’étape d’après. L’un d’entre eux lui a proposé de l’argent en lui indiquant qu’il voulait être son « papa » et même avoir un enfant d’elle. À douze ans.
Dans ce contexte les petites proies n’ont aucune chance. Leurs plaintes ont peu de chance d’aboutir. D’autant qu’il y a eu des cas « imaginaires » relatés dans les journaux. Bref le silence prévaut. Alors même si Kumi a parfois les « genoux qui tremblent« , elle regarde un jour « son » tchikan « droit dans les yeux » et lui dit « kané ». Ce qui veut dire qu’elle lui réclame de l’argent. C’est l’effet terrible d’une perversion qui a fait son chemin dans la tête d’une enfant à l’aube de son adolescence.
Nous pensons être alors au bout du chemin de croix que Kumi Sasaki nous invite à emprunter. Mais non. La souffrance profonde est indicible et nous ne l’avons pas encore entendue. Car Kumi a décidé de se suicider. Elle élabore un plan consistant à se jeter sous un des trains maudits. Elle compte les secondes. Encore trente secondes et elle saute. Jusqu’à ce que sa copine Yuri surgisse de « nulle part » et lui dise « qu’est-ce que tu fais-là« ? La Kumi de trente trois ans se souvient aujourd’hui de Yuri comme d’un « gamin-filou » qui lui a sauvé la vie. Elle vit désormais en France. Elle a écrit ce livre avec un Français, Emmanuel Arnaud.
PHB
« Tchikan » par Emmanuel Arnaud et Kumi Sasaki.
Éditions Thierry Marchaisse 14,90 euros
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