Goldoni, maître incontesté de la comédie italienne

Carlo Goldoni (1707-1793), auteur extrêmement prolifique, a écrit plus de deux cents pièces en tout genre : tragédies, intermèdes, drames, livrets d’opéra, saynètes de carnaval…, mais ce sont incontestablement ses comédies qui lui valurent la célébrité, parmi lesquelles “Les Jumeaux vénitiens” (I due gemelli veneziani). Cette comédie est actuellement à l’affiche du Théâtre Hébertot, mise en scène par Jean-Louis Benoît.

Jean-Louis Benoît, habitué au registre comique, s’attaque ici à un auteur qu’il connaît bien puisqu’il a déjà monté en 2002 “La Trilogie de la Villégiature” au Festival d’Avignon et au Théâtre de la Criée à Marseille puis, en 2015, “Les Rustres” à la Comédie-Française.

L’intrigue de cette pièce relève de la farce pure : deux jumeaux donc, Zanetto et Tonino, se trouvent séparés à leur naissance. Si les deux frères se ressemblent physiquement, il n’en va pas de même de leur caractère, ni de l’éducation qu’ils ont reçue. Zanetto, élevé dans la montagne près de Bergame, est un rustre fini, plutôt simple d’esprit, tandis que Tonino, élevé à Venise, est un homme distingué et fin, un “gentleman” pourrait-on dire. Une vingtaine d’années s’est écoulée lorsque, par le plus grand des hasards et sans en avoir connaissance, les deux frères se rendent tous deux à Vérone pour retrouver leurs fiancées respectives. Zanetto s’est engagé à épouser Rosaura, la fille d’un avocat tandis que Tonino doit retrouver Béatrice, son amoureuse. La présence des deux frères dans la même ville va créer une succession de quiproquos, de malentendus en tout genre, de situations on ne peut plus invraisemblables…

D’autres personnages, tout aussi hauts en couleurs, entourent les principaux protagonistes : Arlequin et Colombine, le célèbre couple de valets de la commedia dell’arte, Pancrace, un sombre sire descendant du Tartuffe de Molière, Lélio, un prétendant hautain et ridicule…

Pendant près de deux heures, les situations les plus cocasses s’enchaînent, pour notre plus grand plaisir, à un rythme effréné. Mais, tout cela n’est pas gratuit : sous le rire et la comédie burlesque, Goldoni nous donne à voir une critique acerbe de la société de l’époque qui tend à l’universalité. L’amour, l’amitié, la vertu, l’hypocrisie, la cupidité, la corruption… sont mis à mal ou dénoncés, comme chez Molière. Et la pièce se terminera sur une note sombre. La tragédie n’est plus si loin…

Victoire Bélézy et Maxime d’Aboville. Les Jumeaux Vénitiens © Bernard Richebé

Ce spectacle est une réussite. Saluons tout d’abord l’adaptation de Jean-Louis Benoît qui donne au texte une actualisation de bon aloi et des formules on ne peut plus savoureuses. Ainsi “Je ne sais pas si elle est viande ou poisson” ne signifie pas que le personnage se demande si la femme dont il parle est carnivore ou végétarienne, mais ce qu’elle pense réellement. Une mise en scène endiablée avec duels, poursuites, gifles… sert au mieux l’enchaînement dynamique des situations. Les magnifiques décors de Jean Haas et les chaudes lumières de Joël Hourbeigt nous transportent dans une Italie gaie et ensoleillée. Les costumes de Frédéric Olivier ont la magnificence de ceux du XVIIIème siècle.

Et puis il y a les comédiens… Ils sont tous excellents, jouant de l’aparté avec le plus grand naturel. Ils possèdent tous la vis comica et l’énergie qu’exige ce répertoire. Maxime d’Aboville se montre tout particulièrement remarquable dans le double rôle des jumeaux. Vêtu du même costume trompeur, il a su trouver des particularités pour chacun des personnages (voix, accent, tenue…) ce qui permet de les différencier sans jamais se tromper. Étoile montante du théâtre privé, après avoir été nommé à deux reprises aux Molières – en 2010 pour le Molière de la révélation masculine dans “Journal d’un curé de campagne” et, en 2011, pour le Molière du meilleur Comédien dans un second rôle dans “Henri IV, le bien aimé” –, il finit par remporter la très convoitée statuette du Molière du meilleur Comédien dans un spectacle de théâtre privé, en 2015, pour son rôle dans “The Servant”. A sa grande maîtrise, sa diction parfaite, on voit que le comédien a suivi une solide formation classique, en l’occurrence les cours de Jean-Laurent Cochet.
Nous ne pouvons que vous conseiller ce divertissement goldonien qui ne manquera pas de vous ravir.

Isabelle Fauvel

“Les Jumeaux vénitiens” de Carlo Goldoni, du 14 septembre au 31 décembre 2017 au Théâtre Hébertot. Adaptation et mise en scène de Jean-Louis Benoît, avec Maxime d’Aboville, Olivier Sitruk, Victoire Bélézy, Philippe Berodot, Adrien Gamba-Gontard, Benjamin Jungers, Thibault Lacroix, Agnès Pontier, Luc Tremblais et Margaux Van Den Plas.

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