Avec ce portrait de « Françoise » dont on voit ici un détail, Pablo Picasso, joue avec ses crayons de couleur. De ce que l’on connaît des photos de Françoise Gilot qui succéda à Dora Maar en tant que muse et compagne, l’artiste a bien restitué l’éclat magnétique de l’œil, ce par quoi l’essentiel de ce qui fait un charme au sens ancien du terme, transite. Ce portrait qui date de 1946 est celui d’une femme toujours vivante au jour où ces lignes sont publiées. Il est actuellement montré au musée du Domaine départemental de Sceaux dans le cadre d’une exposition convaincante intitulée « Picasso devant la nature ».
Alors que doit débuter bientôt au musée Picasso une thématique érotique ô combien vaste s’agissant du peintre espagnol, celle qui vient de débuter à Sceaux (Hauts-de-Seine) constitue une bonne mise en jambe, d’autant que chez cet artiste, quel que soit le sujet, il est toujours possible et même probable de distinguer dans le traitement des formes y compris abstraites une composante sensuelle, un clin d’œil charnel, un signalement du désir.
On ne pouvait mieux choisir, pour un fil directeur menant de l’humain à la faune et de la faune à la la flore, que cet élégant bâtiment du musée de Sceaux abrité au sein d’un des plus beaux parcs de l’Île de France. La scénographie de l’exposition est heureusement sans apprêts particuliers sans ces constructions intellectuelles du genre « mise en regard » qui à Paris perturbent plus qu’autre chose, la livraison d’un propos. Ici la disposition est simple, la lumière est bonne, la place pour circuler satisfaisante.
Picasso a toujours aimé les animaux. Il s’en est entouré quand il vivait à Montmartre et quand il s’est installé à Vallauris sur la Côte d’Azur, une chèvre lui tenait compagnie. Et justement, en voilà une de chèvre, dans une aquatinte au sucre (!) signée de la main du maître. Avec un enchevêtrement de détails, il en a fait, si l’on regarde bien, un être presque divin. Picasso ne se suffit pas de son propre regard. Son génie transite aussi par celui des autres ainsi que le chantait Gainsbourg: « dans tes yeux je vois mes yeux t’en as de la chance ça te donne des lueurs d’intelligence ». Sauf que Picasso est probablement moins moqueur que le chanteur et que lui savait déceler dans le regard des êtres, humains et animaux, une sorte de spiritualité, un magnétisme, un éclat enfin, les élevant bien au-dessus de la considération ordinaire qui fait de l’homme un consommateur et d’un animal un simple amas de protéines.
On pourra aussi s’attarder devant l’étonnant bestiaire qui est présenté à Sceaux dont cette monstrueuse araignée envahissant les fleurs, engin de cauchemar fantasmé, porteur de mort. Apollinaire aurait bien voulu la collaboration de Picasso pour son propre bestiaire mais face aux atermoiements de son ami, il avait finalement requis Raoul Dufy. Ce qui devait donner un beau livre hybride mêlant poèmes et illustrations.
Plus loin il y a aussi des portraits de femme déconstruits puis reconstruits selon des règles géométriques proprement déroutantes. Picasso surprend encore et toujours. Son génie espiègle, sa création débridée, ne cessent de attraper même si maints de ses procédés ont été depuis été repris par d’autres.
Le grand plaisir de cette exposition c’est aussi la déambulation dans le parc de Sceaux. A quelques stations RER de Paris, ses jardins sont bien plus calmes que ses cousins parisiens, dessinés ou non par Le Nôtre. Les perspectives sont plus grandes, les jardins sont plus vastes, les bassins font dans la démesure. Et il y a au milieu d’une pièce d’eau circulaire ce jet d’eau dont l’irisation due au vent fait comme une voile de lumière. De quoi donner l’envie de tirer des bords, de filer dans le vent.
PHB
« Picasso devant la nature » jusqu’au 31 décembre, Musée du domaine départemental de Sceaux. Jusqu’au 31 décembre
Joli article qui donne envie de se déplacer.