« Maria by Callas » à la Seine Musicale

Lorsque les médias ont annoncé à grand renfort d’images et de pages la mort de Pierre Bergé, le 8 septembre dernier, je me suis livrée à une petite expérience, en demandant à quelques jeunes si ce nom leur disait quelque chose. Rien du tout. Alors j’ai parlé d’Yves Saint-Laurent, évoquant leur vie et leur œuvre communes. «Ah ! Saint-Laurent ! LA MARQUE !», se sont écriés ces jeunes. Parions que si je leur demandais qui était cette Callas dont on célèbre le quarantième anniversaire de la mort, comme ce n’est pas «une marque»… Quoique, à certains égards, elle le soit devenue, tant on a exploité «le mythe Callas», opposant l’immense chanteuse à la femme malheureuse.

Que leur dire, à ces jeunes ? Tout simplement que Maria Callas a révolutionné l’opéra dans les années 1950, qu’elle l’a ressuscité, qu’elle a tout changé, aussi bien le répertoire que la manière de chanter, et que depuis son règne, toutes les grandes cantatrices sont ses émules, de Montserrat Caballé à Anna Netrebko.

Depuis 70 ans, toutes se réclament d’elles, et tout ce qu’on aime voir sur les scènes aujourd’hui, Rossini, Donizetti, Bellini, Verdi, Puccini, c’est à elle qu’on le doit.

Je leur dirai enfin qu’elle fut une extraordinaire tragédienne sur scène, inventant une gestuelle unique soulignant le chant de ses longs bras, de ses mains magnifiques, de son beau visage habité de douleur, mais que malheureusement, si son héritage au disque est considérable, il n’existe que quelques rares fragments d’elle filmés, en dehors de quelques concerts.

Ce n’est pas un hasard si le jeune Tom Volf, l’organisateur de l’exposition fleuve «MARIA by CALLAS» à la Seine Musicale de l’île Seguin, n’était ni lyricomane, ni calassomane : il affirme que sa conversion remonte à quatre ans, lorsqu’il vit «par hasard» la grande mezzo Joyce di Donato au Met dans «Maria Stuarda» de Donizetti, et passa le reste de la nuit sur Youtube, découvrant notamment des enregistrements sonores live de la Callas dans «Lucia di Lamermoor» du même Donizetti. Il se met alors à tout lire sur elle, puis à écumer le monde à la recherche de documents et de témoignages inédits de ceux, encore vivants, qui ont connu la Diva, dont le grand maestro français Georges Prêtre («Nous parlons le même langage, disait-elle de lui, celui de la musique»), Franco Zefirelli son metteur en scène favori après Luchino Visconti, ou les fidèles Ferruccio et Bruna, restés 25 ans auprès d’elle.

Animé du zèle des récents convertis, le jeune Volf veut tout montrer, tout dire, tout faire entendre et voir de sa Diva, et c’est par là que l’exposition manque de perspective. Il a beau proclamer que 80 % de ce qui est montré est nouveau, on y retrouve les étapes si connues du mythe Callas, ainsi que toutes les photos et les interviews les plus célèbres.

Maria Callas dans « Norma ». Aspect de l’exposition

Tout y passe, pourrait-on dire : la naissance à New York le 2 décembre 1923 ; l’exploitation de sa fille prodige, dès l’âge de dix ans, par sa mère qui lui préfère sa jolie sœur blonde et mince ; le voyage avec sa mère et sa sœur vers Athènes en 1937 ; la rencontre providentielle, au Conservatoire d’Athènes, avec Elvira de Hidalgo, émerveillée par sa voix couvrant pratiquement trois octaves (au lieu des deux habituels) et son acharnement insensé au travail, qui va lui enseigner son viatique et son socle, l’art presque perdu du beau chant -le bel canto-, le seul qui fasse justice à la voix et aux passions des grandes héroïnes ; le retour infructueux à New York en 1945, suivi du retour en Europe l’année suivante .

En 1946, à 23 ans, premier déclic avec ses débuts aux Arènes de Vérone dans «La Gioconda» de Ponchielli dirigée par Tullio Serafin, son premier et fondamental mentor, dont elle retiendra la fidélité absolue à la partition ; rencontre avec Meneghini, homme d’affaire replet passionné d’opéra de 28 ans son ainé, qui finance ses débuts et devient son imprésario; puis elle chante «Tristan et Isolde» de Wagner et « Turandot »  de Puccini, toujours avec Serafin, puis fait ses débuts dans «Norma» à Florence, puis ses débuts à la Scala dans «Aïda» en 1950, ayant épousé entre-temps le sieur Meneghini, dont Zefirelli dira qu’il ne comprenait rien au génie de Maria.

Nous n’en sommes encore qu’à la première période de l’exposition, « 1923-1953 », et déjà, à 28 ans, Maria Callas affirme son règne à la Scala comme à Covent Garden, où elle interprète «Norma» de Bellini, le rôle qu’elle a le plus chanté (environ 90 fois), un rôle qui n’avait plus été donné sur cette scène depuis… 1929, par la légendaire Rosa Ponselle.

Viennent alors, dans l’exposition, les périodes suivantes : «1953-195 » (celle de sa stupéfiante métamorphose en… Audrey Hepburn, son «modèle» de «Vacances romaines», et des représentations inouïes qui suivent de « La Vestale » de Spontini et de la «Traviata» de Verdi mises en scène par Luchino Visconti, son Pygmalion scénique . Puis la période «1956-1964» (la rencontre avec Onassis qui bouleverse sa vie de diva) ; «1964-1968» (Tosca et Norma à Paris, Aristote se dérobe, elle emménage 36 avenue Georges Mandel) ; puis «1968-1970», l’année du tournage de la «Médée» de Pasolini, échec commercial ; «1971-1977», «Maria a 47 ans et Callas parle de l’opéra au passé».

Pour nous raconter une vie si courte et pourtant si foisonnante, digne des héroïnes qu’elle a chantées avec un engagement dramatique inouï, il faut bien l’espace généreux dévolu aux expositions de la Seine Musicale. Cette première exposition in situ veut nous faire entendre «la voix» de la Callas s’adressant à nous à la première personne, et en arrivant, elle nous accueille dans le Pop Up télévisé de José Arthur du 6 décembre 1970, sept ans avant sa mort.

Mais pour nous qui sommes amoureux de sa voix de chanteuse, il nous faut attendre le milieu de l’exposition. Nous écartons alors un rideau de velours rouge, nous nous asseyons face à un écran de 360 degrés, et nous écoutons et regardons la Callas, multipliée à l’infini, dans ses concerts de 1958, 1962, 1965, les deux derniers dirigés par Georges Prêtre. Et nous tombons d’admiration, one more time ou pour la première fois, devant l’incomparable gestuelle.

Lise Bloch-Morhange

 

Exposition « MARIA by CALLAS », Seine Musicale, Ile Seguin, Boulogne-Billancourt, 16 septembre-14 décembre

Coffret WARNER des live, succédant à l’édition intégrale des enregistrements en studio

« Maria by Callas » Aspect de l’exposition. Photo: Lise Bloch-Morhange

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Une réponse à « Maria by Callas » à la Seine Musicale

  1. PIERRE DERENNE dit :

    Merci, nous irons au « rendez-vous »

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