Brin de toilette pour l’Ecole des beaux-arts

La visite des chantiers de restauration de l’École des beaux-arts est un voyage au long cours qui s’étend d’Alexandre Lenoir à Jean-Marc Bustamante. Déjà 200 ans que la vénérable institution (n’en déplaise aux élèves) règne entre Seine et Saint-Germain des Prés. Ça valait bien un brin de toilette. D’autant plus que sur deux hectares se concentrent bâtiments, cours et jardins datant des XVIIe au XXe siècles. Une densité assez rare de chef-d’œuvres architecturaux qui lui a valu d’être classée Monument historique en 1972. Cette diversité et une histoire en permanente évolution font dire à François Chatillon, architecte en chef des Monuments historiques et maître d’œuvre de la restauration que si «l’école était un livre ce serait une encyclopédie dont les volumes continuent à s’écrire chaque jour».

En fait ce sont deux écoles qui se partagent les lieux, celle des beaux-arts mais aussi l’École Nationale Supérieure d’architecture Paris-Malaquais. Les enjeux des travaux, commencés il y a une huitaine d’années, sont la restauration des édifices et de leur décor ainsi que la mise en cohérence des différents bâtiments entre eux pour créer de nouveaux parcours et les ouvrir davantage au public. En effet, on sait moins que l’école est aussi un musée depuis son origine et abrite des collections de plus de 400 000 œuvres. Mettre les étudiants au contact avec l’art de leurs prédécesseurs a toujours été au centre de l’enseignement (bien qu’un temps chahuté !)

Tout commence à la Révolution quand le peintre Alexandre Lenoir ouvre dans les jardins de l’ancien couvent des Petits-Augustins (XVIIe s.) le premier musée des Monuments français destiné à présenter les vestiges architecturaux rescapés des destructions. A sa fermeture en 1816, les lieux sont affectés à l’Ecole des beaux-arts. S’engage alors une campagne de travaux menée par les architectes François Debret et surtout Félix Duban (1797-1870) qui dotent l’école d’édifices adaptés à la fois à l’enseignement et aux expositions. Duban, grand prix de Rome en 1823, est passionné d’architecture gréco-romaine et exprime sur les bords de Seine son goût pour la polychromie et les décors peints découverts en Italie. Ouvert aux nouvelles techniques constructives, il termine le Palais des études (au fond de la cour d’honneur) commencé par Debret en couvrant l’immense hall d’une audacieuse verrière et en créant l’amphithéâtre. Il réalise le bâtiment des expositions (salle Melpomène) donnant sur le quai Malaquais. Et il aménage la cour d’entrée, rue Bonaparte, la chapelle et le cloître (cour du mûrier) de l’ancien couvent.

Parsemant ses compositions d’éléments architecturaux et décoratifs, issus des collections du musée des Monuments français, comme l’avant-corps Renaissance (remanié) de Philibert de l’Orme, provenant du château d’Anet dans la cour d’honneur, il laisse une ensemble cohérent et très dixneuviémiste, éclectique et chatoyant, avec des ambiances résolument italiennes. C’est sans aucun doute son intervention qui donne l’essentiel de son identité à l’ensemble. En 1883 l’École s’agrandit avec l’annexion de l’hôtel de Chimay (XVIIe et XVIIIe s.), aux 15 et 17 quai Malaquais. Après 1946, Auguste Perret enserre la salle Melpomène de trois étages d’ateliers apportant la rigueur de l’architecture moderne en contrepoint des décors luxuriants de Duban.

La salle Melpomène restaurée. ©A.Mercusot

Le travail de François Chatillon et de son équipe, composée d’architectes et de restaurateurs d’art de toutes disciplines est donc global mais mené au rythme de micro-chantiers ; actuellement c’est la cour du mûrier, étonnant rêve d’Italie en plein Paris, qui occupera l’équipe jusqu’en 2018, tout comme les couvertures de l’hôtel de Chimay. Visiter les lieux avec François Chatillon est à la fois une leçon d’histoire de l’art et de l’architecture et une approche des techniques de construction et de restauration passionnantes. Respecter les caractéristiques de chaque époque pour mieux les mettre en résonance, revoir entièrement l’accessibilité du site et apporter une touche contemporaine par le biais du mobilier ne semble pas impressionner outre mesure l’architecte de la restauration du château de Voltaire à Ferney et du Grand Palais entre autres. Cette fréquentation du patrimoine français lui procure une connaissance sinon une intimité avec les chefs-d’œuvre les plus illustres, y compris philosophiques, et lui donne une certaine liberté dans son approche. Tous ceci a un coût, porté essentiellement par l’Etat et la Ville de Paris, mais aussi par la participation de mécènes généreux dont vous pourrez voir les plaques lors de votre prochaine visite.

Et justement, c’est bien joli les chefs-d’œuvre mais quand est-ce qu’on les voit ? Les plus curieux connaissaient déjà la salle d’exposition Melpomène, côté Malaquais, ainsi que la superbe chapelle, côté Bonaparte, où s’exposaient de temps en temps des œuvres contemporaines au milieu des moulages, dont une chapelle de Michel-Ange, et des tableaux anciens. La lumière chiche dispensée par les lucarnes de la vieille toiture, donne à cet espace peuplé d’un vrai bric-à-brac artistique, une atmosphère envoûtante. L’intervention de François Chatillon devrait y être discrète puisqu’il nous dit «ici on ne va rien faire, c’est ce qui est le plus dur (à faire !)».

Pour le reste un grand projet de Musée des beaux-arts de Paris est en cours, porté avec passion par l’actuel directeur, l’artiste Jean-Marc Bustamante (1952- ). Ce dernier, qui admet avoir dans sa jeunesse voulu faire du passé table rase, souhaite aujourd’hui «faire la paix entre les étudiants et le patrimoine». Il a à cœur de valoriser à la fois les collections et les murs de l’École. D’où ce travail avec François Chatillon de parcours qui débutera quai Malaquais et mènera les visiteurs de la salle d’exposition Melpomène à la chapelle via les bâtiments Perret et la cour du Mûrier, puis sans doute, vers les époustouflants cour vitrée et amphithéâtre d’honneur du palais des Études (actuellement loués pour des événements privés). L’appellation « Musée de France » est en attente. Bustamante voit grand et rêve d’un vaste espace muséal et culturel de part et d’autre de la Seine qui mettrait sa maison en connexion avec la Monnaie de Paris (en cours de réhabilitation), l’Institut et le Louvres. En attendant, vous pouvez guetter les événements, type Journées du Patrimoine ou expos, pour découvrir ces lieux en pleine renaissance, mais vous pouvez aussi aller à la somptueuse bibliothèque, fondée en 1864 et accessible au public, qui contient un des fonds français les plus importants dédiés à l’art contemporain.

A propos de notre époque, grande absente de l’enfilade d’édifices et d’extraits d’architecture du musée, François Chatillon nous confie son idée : «l’arc du château de Gaillon, placé dans la perspective de l’entrée dans la cour d’honneur par Duban a été démonté et renvoyé en Normandie. Pourquoi ne pas en reconstruire un de contemporain et rétablir du même coup la composition ?». Affaire à suivre.

Marie-Françoise Laborde

Photo d’ouverture: L’amphithéâtre d’honneur où étaient remis les prix de Rome. A gauche Romulus vainqueur d’Acron (Ingres) Photo: Antoine Mercusot

 

Le cloître de la cour du mûrier. Photo: Antoine Mercusot

 

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