Documenta 14 : le grand marathon arty de Kassel

Avis aux amateurs d’art contemporain à qui cet événement aurait échappé ! Il ne reste plus que deux semaines pour assister au plus important rendez-vous d’art contemporain d’Europe, « documenta 14 » à Kassel (Allemagne). Après le 17 septembre, il faudra attendre cinq ans, la documenta étant quinquennale.
Cette année, pour la première fois depuis sa création, les visiteurs ont eu le choix entre deux sites, Athènes (du 8 avril au 16 juillet) et Kassel (10 juin au 17 septembre).

(Ci-contre, rideau de crânes par Máret Ánne Sara, photo: LB)

Sous l’impulsion de son commissaire général, Adam Szymczyk (ex-directeur de la renommée Kunsthalle de Bâle) la manifestation a en effet ouvert en avant-première à Athènes. Le choix d’Athènes a frisé la polémique. Faut-il le rappeler, les tensions entre la Grèce et l’Allemagne, provoquées par la crise financière grecque et celle des réfugiés ne sont pas si lointaines. Mais oublions ce débat et retenons le louable dessein du projet : redorer le blason culturel de la Grèce et faire la promotion de sa scène artistique contemporaine. Objectif conforme à l’esprit de création de la documenta en 1955, par Arnold Bode (1900-1977), artiste et professeur d’art de Kassel, de réhabiliter et promouvoir les artistes dont les œuvres, qualifiées d’ « art dégénéré » par les nazis, avaient été interdites.

Cette année, documenta 14 réunit à Kassel plus de 600 artistes du monde entier sur 32 sites. Elle reflète en majorité les dilemmes économiques et politiques auxquels l’Europe doit faire face. Autant dire que documenta 14 est particulièrement noire : crise des réfugiés, mutations économiques, réchauffement climatique, actes terroristes, guerres…. Peu de projets ludiques, le sexe et l’esthétique sont pratiquement absents. Mais l’esprit est sauf. La créativité et l’avant-garde sont là.

Sur la grande place Friederich, le centre historique de l’événement, se dresse le Parthénon monumental de l’artiste argentine Marta Minujin. Cette réplique du Parthénon d’Athènes est bâtie sur une structure métallique remplie de livres censurés au fil des siècles. Rushdie, Freud, Baudelaire, Sade, Diderot, Mariane Satrapi… Le projet collaboratif, qui se nourrit de livres déposés par le public ou envoyés du monde entier, ne sera peut-être jamais achevé.

Documenta 14, barques des migrants de G Galindo. Photo: Lottie Brickert

Le Fredericianium, bâtiment classique où a vu le jour la première documenta en 1955, accueille pour documenta 14 les œuvres du musée d’art contemporain d’Athènes. Le transfert de ce musée à Kassel pour mettre en valeur les artistes grecs, pourquoi pas ? Dommage que les cartouches des créations soient aussi succincts pour saisir le dessein des plasticiens ! Dans la documenta Halle adjacente, la composition de la grande salle est saisissante. Le mexicain Guillermo Galindo a transformé en installation les barques des migrants échouées sur les côtes grecques. Près de là, les cotonnades teintes à l’indigo organique du malien Aboubakar Fofona pendent tel un étendard divin afin de nous alerter sur l’importance des savoirs ancestraux pour mieux préserver notre environnement.

Retour vers le passé dans la Neue Galerie également, où on ne peut manquer la gigantesque fresque intitulée Real Nazis du polonais Piotr Uklanski. Il juxtapose les portraits de propagande en noir et blanc de « vrais » nazis et les photos en couleur d’acteurs hollywoodiens grimés en nazis. Mêlant le vrai au faux, il nous interpelle sur les dérives possibles du populisme qui refait surface en Europe.

Parmi les nouveaux sites de documenta 14, l’ancienne poste centrale (baptisée « Neue Neue »* Galerie) mérite tout particulièrement l’attention. Le bâtiment en béton brut, resté dans son jus des années 1970, a dû être abandonné pour cause d’inadaptation aux nouvelles méthodes d’échange. Les projets artistiques qu’il abrite sont emblématiques des mutations de notre monde qui oblige au changement. Avec son rideau fait de crânes de rennes (cf photo d’ouverture), la plasticienne norvégienne Máret Ánne Sara prend la défense des éleveurs sami. Au mépris de leur culture, le gouvernement les a obligés à procéder à l’abattage de rennes pour sauvegarder les pâturages jugés insuffisants dans leur région. Au même étage, on est captivé par la vidéo-projection de Theo Eshetu, l’Atlas fracturé. Dans celle-ci, une série d’œuvres classiques de différentes cultures et époques, des sculptures grecques aux masques africains ou portraits de la renaissance s’animent petit à petit pour devenir des êtres vivants acculturés.

S’il est impossible de détailler tous les travaux exposés, une recommandation s’impose pour terminer agréablement ce grand marathon arty : s’attabler autour d’une bière dans le beau parc de l’Orangerie de Kassel. Et, s’il reste de l’énergie, entrouvrir le catalogue de documenta 14 pour essayer de comprendre tout ce qu’on a vu.

Lottie Brickert

Documenta 14 Kassel, jusqu’au 17septembre. Ouvert tous les jours de 10:00 à 20:00. Information : 18 Friedrichsplatz, 34117 Kassel, Hesse, Allemagne. Billets : 1 jour : 22 € / 15 € (réduit) – 2 jours : 38 € / 27 € – Pass : 100 E / 70 E – Soirée à partir de 17:00 : 10 € / 7 €. https://www.kasselkultur2017.de/documenta-14

* « nouvelle nouvelle » galerie

Le « Parthenon des livres ». Vue globale à la Documenta 14. Photo: Lottie Brickert

Le « Parthenon des livres » en détail à la Documenta 14. Photo: Lottie Brickert

 

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2 réponses à Documenta 14 : le grand marathon arty de Kassel

  1. Philippe Person dit :

    Je crois que j’attendrai cinq ans… Voire dix ou quinze….
    Merci pour ce panorama qui me donne du grain réactionnaire à moudre… Ah ! la belle Europe post-moderne néo-libérale et cucul la praline .. Et si on faisait une autodafé de codes du travail et que l’on intitulait : « Ode à la nouvelle collaboration franco-allemande » ?
    Ils trouveraient que c’est de l’art à Kassel ?
    Non, là, ça serait du populisme, bien entendu ! et ça ne vaudrait pas un clou (ou le salaire du million de travailleurs pauvres allemands et bientôt à leurs homologues français)

  2. hottelart dit :

    Merci pour votre article.
    J’y vais jeudi pour 3 jours . Il me permettra de m’orienter plus facilement.
    L’avais visité également en 2012 . Lieu magique et impressionnant à la fois.
    Cordialement,
    M.

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