Par quel concours de circonstances ce personnage, qui a tout du poète et du rêveur, se lance-t-il dans la plus cruelle et la plus violente des guerres ? Pourquoi, à peine sorti de l’adolescence, devance-t-il l’appel pour rejoindre le Front, en 1916, découvrant ainsi l’angoisse, l’ivresse du danger et l’incertitude des lendemains ? Pour guérir d’un amour avorté et le remplacer par de nouvelles sensations, plus violentes encore ?
« Colombe sous la lune », le premier roman de Laurence Campa nous plonge rapidement dans une atmosphère crépusculaire et tendue dont il sera difficile de se détacher.
Le décor est celui, oppressant, du front ; l’ambiance, celle de l’attente interminable, ou, pire, de l’ennui, poison qui engendre le redoutable mal du pays ; l’atmosphère, celle que les hommes éprouvent quand ils se retrouvent « de l’autre côté de la vie ».
Autour du lieutenant Thomas, les guerriers ont tous un passé, qu’ils masquent parfois, qu’ils embellissent le plus souvent. On ne s’épanche pas, ou si peu.Tout peut basculer d’une seconde à l’autre. On se construit tant bien que mal un semblant de vie humaine, précisément là où cette vie n’a jamais été aussi fragile. Aussi fragile que Colombe, image obsédante qui ne cesse de tarauder le jeune homme, même lorsque la bataille est proche. Paradoxalement, les heures tendues de cette bataille sont peut-être les seuls moments de repos, quand se détachent « un à un les liens qui le rattachent à son passé, rêves, enfance, innocence ».
Dans ce jeu de trompe-la-mort, lorsque chacun joue le tout pour le tout, le roman devient d’une extraordinaire tension. Utilisant toutes les ressources et les richesses d’une langue maîtrisée, le roman nous offre une représentation presque cinématographique des combats. Certaine pages ont la puissance acérée d’un Kandinsky.
Les lecteurs de sa monumentale biographie d’Apollinaire chez Gallimard (*) avaient déjà apprécié chez Laurence Campa son art littéraire de la narration : l’authenticité des faits n’empêche pas la distinction de langage. Ici aussi, dans les descriptions d’un réalisme sans concession, avec une connaissance affirmée des détails concrets de la guerre et de la vie des tranchées, l’écriture garde son raffinement. C’est la fragilité d’un coquelicot, la douceur d’un chant d’oiseau, la lumière brouillée d’un ciel. Sans doute parce que ces détails rattachent à la vie d’avant. Et que la guerre est sans emprise sur une fleur ou un oiseau.
Au delà de l’élégance de l’écriture, on ne peut que s’attacher au personnage du jeune lieutenant. S’il s’est engagé, trop jeune, « par défi, par dépit, par orgueil », il n’a pas perdu pour autant sa capacité à s’émouvoir, ni ses étonnements enfantins. Il n’abandonne pas ses chimères. Il n’avait pas appris les codes du badinage et se sait naïf, sérieux, trop sérieux. La guerre lui aura enseigné que la vie commande autrement. Dans la réalité de la Grand Guerre, combien de soldats étaient des lieutenants Thomas ? Combien rêvaient à leur Colombe qui, hasard ou non, porte le nom symbolique de la Paix ?
Gérard Goutierre
(*) Apollinaire, Gallimard
Colombe sous la lune, Ed Stock. 18,50 €
Cela me semble être un roman très captivant. J’ai vraiment hâte de le lire.