Certains bipolaires le savent. Lorsque la gaieté monte, qu’elle se transforme en euphorie impossible à réfréner, en logorrhée incontrôlée, c’est que la crise n’est pas loin. C’est le cas d’Anna bien que ce ne soit pas explicitement précisé dans le film éponyme qui sera en salles dès le 5 juillet. Pour son premier long métrage, Jacques Toulemonde s’est attaqué à un sujet difficile qui a concerné au moins un de ses proches. Il en a fait une histoire fébrile, intense, qui nous laisse intranquilles de bout en bout.
Anna est franco-colombienne. Elle vit à Paris et dispose de son fils en garde partagée. Elle l’entoure d’une affection démonstrative, sans doute excessive. Son mari estime cependant que sont état mental ne lui permet plus de s’occuper de Nathan. La perspective de la séparation l’affole et elle décide de l’enlever. Avec son amant Bruno ils filent tous les trois en Colombie avec l’idée de tenir un restaurant sur une plage.
Jacques Toulemonde a réussi son coup. Lui-même nous prend en otage sans nous laisser le temps de souffler. L’enlèvement n’est pas un coup de théâtre puisqu’il est quasi-annoncé et ce film n’en contient pas d’autre. L’histoire dans ses enchaînements est prévisible mais c’est une prévisibilité de bon aloi. Le suspense n’est pas le moteur du film. Jacques Toulemonde joue sur l’empathie et son dispositif fonctionne à fond. Nous sommes tout à la fois Anna, le petit garçon Nathan, l’amant Bruno et le mari Philippe, successivement joués par Juana Acosta, Kolia Abiteboul Dossetto,Bruno Clairefond et Augustin Legrand.
Le réalisateur qui a été élevé à Bogota dans une famille franco-colombienne a voulu privilégier la direction d’acteurs en gardant comme axe central le point de vue d’Anna dont l’interprète est elle-même colombienne et s’exprimant tant en français qu’en espagnol. Il dit « avoir décidé de limiter au maximum les aspects techniques et la lourdeur qu’implique une grosse équipe » tout en utilisant des lumières naturelles, ce dernier choix étant des plus convaincants. Toute la partie du film qui se déroule en Colombie est dépaysante, on la voudrait enfin rassurante, profiter de la beauté des sites, mais elle ajoute encore à notre inquiétude en ascension croissante.
Sans aucun doute que la dimension autobiographique de ce long métrage a profondément joué dans la réussite de sa réalisation. Jacques Toulemonde évoque dans une interview une personne ayant souffert des mêmes troubles que son personnage, souffert des avatars thérapeutiques subis par elle et souffert encore de sa transformation en « fantôme », tout en admettant au passage que sa maladie pouvait aussi la rendre « magique et superbe ». Tout le portrait d’Anna en deux mots.
Anna vit une tragédie intime avec dit-elle un « personnage imaginaire » qui l’habite et qui lui veut du mal. Elle est sans cesse obligée de se débattre et de répondre « je suis calme » aux gens qui sans cesse lui intiment de se calmer. Elle sait que les traitements l’éteindront et les refuse. Sa pathologie devient nôtre par transfusion au point que l’on voudrait la soulager tout comme ceux, atteints par ricochet, qui gravitent autour d’elle. Nous voilà impuissants devant cette histoire tout en secousses, pathétique, ajustée au millimètre.
PHB