Sur cette photo Michel Piccoli et Brigitte Bardot partagent un verre gaiement. Dans « Le Mépris », c’est plutôt leur couple qui trinque. En 1963, le mensuel Réalités envoie le photographe Jean-Louis Swiners à Rome pour un reportage sur les lieux même du tournage. Mais les photos n’ont pas été retenues, considérées comme trop « people » au goût du magazine, selon l’auteur qui en inaugurait la première exposition jeudi 22 juin, à la Galerie de l’Instant dans le Marais.
Tout le monde ne connaît pas forcément ce film-phare de Jean-Luc Godard dont la projection a continué bien longtemps après sa sortie et dont on ne compte plus les copies vidéo. Tiré d’un roman d’Alberto Moravia, « Il Disprezzo », le film raconte l’histoire d’un scénariste (Michel Piccoli) parti avec sa femme (Brigitte Bardot) à Rome pour aider au tournage d’un film de Fritz Lang. C’est l’histoire de la dégradation d’un couple dans un contexte de cinéma, une dégradation que pilote jusqu’au tragique Paul Javal joué par Michel Piccoli. Le directeur de la photographie est Raoul Coutard comme indiqué à voix haute au générique. Outre Fritz Lang dans son propre rôle il y a aussi Jack Palance dans celui du producteur. Le film a été financé à condition qu’il y ait une scène de nu relativement osée et c’est pourquoi « le Mépris » ouvre sur l’un des plan mythiques comprenant Bardot allongée, dévêtue, demandant au personnage interprété par Piccoli s’il aime les différentes parties de son corps dont ses fesses. Sans oublier la somptueuse villa Malaparte à l’est de Capri, la musique hypnotique de Georges Delerue achève de faire de cette œuvre une référence cinématographique.
Mais en 1963, les jeux étaient loin d’être faits. Jean-Louis Swiners a été admis sur les lieux du tournage à condition de se faire très discret. Et effectivement, sur un cliché montrant au premier plan Raoul Coutard et pris par un auteur inconnu, on voit le photographe tout à son reportage, en retrait, presque invisible. Il en résulte un travail tout en élégance et chargé de sens, ressorti il y peu d’une boîte où il végétait. Un film documentaire a bien été réalisé sur le tournage (« Paparazzi » de Jacques Rozier), mais ce reportage photographique lui, était passé à la trappe.
Jean-Louis Swiners n’a pas aimé le film, pas plus que le roman a-t-il confié aux Soirées de Paris, mais il conserve de bons souvenirs du tournage (dans l’appartement), notamment parce qu’il s’est découvert des souvenirs militaires communs avec Raoul Coutard et aussi en raison des plans travelling réalisés à partir d’une deux chevaux Citroën aménagée pour l’occasion. Un détail là encore, mais tout compte.
Parmi les tirages plaisants qui nous sont donnés à voir, il y a Jean-Luc Godard méditant seul sur son scénario ou encore Michel Piccoli en caleçon pour le compte de la scène se déroulant dans une baignoire. Jean-Louis Swiners a pu travailler d’autant plus facilement qu’il a bénéficié des éclairages installés pour les scènes à partir d’ampoules maintenues au plafond par des pinces crocodiles et que l’on distingue d’ailleurs dans un des clichés. Les cinéphiles qui ont vu, revu et vu encore le film, apprécieront la plupart des images exposées à la Galerie de l’Instant jusqu’au 12 septembre.
Cela fait plus de cinquante ans que « Le Mépris » alimente les conversations des cinéphiles avec des analyses et des interprétations variées. Cette expo ne va pas calmer le jeu.
PHB
Galerie de l’Instant, 46 rue de Poitou 75003 Paris