Quand on pense qu’une célèbre veste du chanteur Michael Jackson s’est arrachée en 2011 1,8 million de dollars aux enchères, il y a de quoi mesurer la valeur d’un poète puisque ce gilet en feutrine noire ayant appartenu à Guillaume Apollinaire sera mis à l’encan samedi prochain avec une estimation annoncée entre 200 et 300 euros. Le décès récent du dernier héritier par alliance de l’écrivain a semble-t-il déclenché un événement de marché. Pas moins de 448 lots seront ainsi dispersés samedi à Corbeil-Essonnes par les commissaires-priseurs Lancry et Camper dont environ 130 que l’on peut relier directement à Apollinaire. Une aubaine qui ne se représentera pas de sitôt.
Cette vente s’apparente à un fabuleux bazar d’objets issus de l’appartement du 202 boulevard Saint-Germain où ont vécu Guillaume et Jacqueline Apollinaire. Cela va d’un anodin buvard publicitaire vantant l’apéritif Dubonnet dans une catégorie de prix abordable à un carnet de notes daté de 1913 nettement plus onéreux. Mais quand même, enfiler le gilet du poète ne serait-ce qu’un instant et seul chez soi pour éviter le flagrant-délit de béatitude, cela peut sans doute procurer le même type de sensation que le casque de Clovis ou bien les chausses de Bertrand Duguesclin. Est-ce possible de penser qu’un tel vêtement puisse diffuser si peu que ce soit de l’esprit moderne propre au poète? A trois cents euros et même un peu plus, l’opération peut se tenter.
Si l’on s’engage dans cette voie par dévotion, admiration ou affection, le mieux ne serait-il pas cette paire de draps marqués des initiales A.K et ayant donc appartenu à sa mère Angelica de Kostrovitsky selon une des orthographes possibles? Des draps? Dans lesquels aurait dormi voire davantage l’extravagante autant qu’autoritaire maman? Et au milieu desquels Guillaume Apollinaire aurait dormi, rêvé, aimé? L’acquisition n’aura rien d’anodin en même temps qu’elle ne devrait pas ruiner l’enchérisseur avec une estimation qui ne dépasse pas 150 euros. À ce prix, lever la main une fois ou deux en salle des ventes n’est pas une folie. En revanche refaire son lit une fois rentré chez soi avec cette paire de draps dont la trame supporta une légende de la poésie française, dont une partie qui sait recèle de l’ADN à haute densité poétique, ne sera pas une expérience ordinaire. D’autant qu’une fois froissés et relavés, on pourra toujours les repasser avec le vieux fer qui fait partie de la vente.
Tout est à emporter, veuillez entrer messieurs-dames. Et admirez un peu ce splendide compteur à gaz en provenance directe du 202 boulevard Saint-Germain (ci-contre). Pour faire bonne mesure et justifier les 200 à 300 euros de mise à prix il y a été adjoint, le carnet d’abonné au gaz de l’auteur de « Zone » et, fruit rouge sur le dôme du lot numéro 41, la serrure de l’appartement mythique qui vit défiler tant de personnalités du monde des arts et de la littérature. Tout doit partir, y compris son seau à charbon en tôle avec le tisonnier de rigueur dont il faudra bien trouver un nouvel usage, l’époque ayant viré au transit énergétique.
Avec cette vente c’est un peu Noël au mois de juin. Outre les objets anecdotiques, il y a dans ce très large inventaire des lots tout à fait remarquables comme un nu exécuté par Marie Laurencin, du matériel de peinture, une boîte de pastels, des statuettes, des livres et même deux exemplaires des Soirées de Paris dont on ne soulignera jamais assez la fierté d’en cultiver ici-même la mémoire.
« Les souvenirs sont cors de chasse dont meurt le bruit parmi le vent » avait magnifiquement écrit Guillaume Apollinaire. Certes mais ses reliques, elles, vont à l’encan.
PHB
Le site de la vente du samedi 24 juin (14 heures) à Corbeil-Essonnes
PS: Pour 7,30 euros sur le site d’un libraire en ligne connu, on peut se procurer le recueil « Alcools ». Mentionnons tout de même que le véritable héritage de Guillaume Apollinaire est là, dans ses œuvres, en toute impression.
Merci, cher Philippe, de m’avoir révélé cette ultime dispersion. Un fourre-tout à consulter avec circonspection car comme l’indique le libraire il s’agit de la collection d’Apollinaire et de Jacqueline. Je doute que le seau à charbon avec le tisonnier ait appartenu à Guillaume, car il se chauffait au feu de bois. La salamandre a été achetée plus tard par Jacqueline. N’empêche, c’est bien triste de voir s’en aller à tout vent ces « morceaux » de lui-même. C.D.
Là, je dois dire, en effet : « … enfiler le gilet du poète ne serait-ce qu’un instant et seul chez soi… », avec un fond de verre de Cointreau et de whisky, et continuer de combattre « toujours aux frontières / De l’illimité et de l’avenir ».
Et pas de musée Guillaume Apollinaire quelque part pour abriter tout cela?
Ce pourrait toujours être le petit hôtel de Stavelot, en Belgique, qu’Apollinaire, sa mère et son frère quittèrent à la cloche de bois. Il s’appelle maintenant « hôtel du mal-aimé » et l’entrée est ornée de la chanson du Mal Aimé…
Soirs de Paris / ivres de gin / flambant de l’électricité des tramways
Qui feux verts sur l’échine
Musiquent au long des portées de rails
Leur folie de machines…
(C’est approximatif, car de mémoire…)