On a beaucoup glosé sur l’influence de la franc-maçonnerie sur la personnalité et l’œuvre de Mozart, qui devait culminer dans « La flûte enchantée », son dernier opéra (1791), parcours initiatique des deux jeunes amants. On sait bien sûr qu’il fut initié le 14 décembre 1784 au grade d’apprenti dans la loge viennoise dite « La Bienfaisance », et qu’il composa nombre d’œuvres maçonniques (cantates notamment). Mais on ne sait pas toujours qu’un instrument symbolise à lui seul et l’univers et sa foi maçonniques, la clarinette, sa chère clarinette, alors en pleine évolution, et ce jusqu’au choix de la tonalité (la majeur). Mais ses frères en maçonnerie, eux, ne s’y sont pas trompés…
Parmi les sommets de l’œuvre mozartienne pour clarinette, on trouve « Le trio des Quilles » composé en 1786 (durant une partie de quilles chez le baron botaniste franc-maçon Jacquin…), puis ces sommets des sommets que sont le « Quintette pour clarinette en la majeur (1789) » et le « Concerto pour clarinette et orchestre en la majeur (1791) ». Les deux derniers étant dédiés à son ami intime et frère en maçonnerie Anton Stadler.
N’oublions pas qu’à cette époque certains instruments sont en pleine évolution, dont « le cor de basset » et la « clarinette di bassetto », et écoutons le musicologue Pablo Vayon (édition Le Monde, 250 anniversaire de Mozart): « Quand Mozart s’attela à la composition de son Quintette pour clarinette et quatuor à cordes, il n’existait aucun précédent de ce type d’instrumentation dans toute la littérature musicale européenne ; ce qui ne l’empêcha pas de réaliser une œuvre magistrale et exceptionnellement épurée, dont le niveau esthétique ne sera atteint qu’un siècle plus tard, par le Quintette opus 115 de Brahms ».
Nul besoin d’être musicologue, d’ailleurs, pour s’en convaincre. Prenons le tout nouveau CD « How I Met Mozart », paru chez le label français Aparte, et écoutons: nous voilà à la seconde hors du monde et de ses tumultes dans un univers raffiné, quasi surnaturel, où la clarinette et les quatre bois (ah ce premier violon !) dialoguent à part égale; puis à peine le larghetto fait-il entendre sa plainte, que tout se résout dans le menuetto et l’allegretto dans une atmosphère d’harmonie et de joie à la fois légère et profonde que rien ne peut entamer. Effet saisissant : Mozart nous a pris par la main et nous a élevés jusqu’à lui.
Nous plongeons alors dans l’univers d’un autre maitre de la clarinette, Carl Maria Von Weber, le « Quintette pour clarinette en si b majeur opus 34 ». Effet tout aussi saisissant, mais à rebours : toute la virtuosité de la clarinette peut sembler semble bien artificielle après les impalpables accords mozartiens.
Ce qui m’a remis en mémoire, par association d’idée, les vers de Gérard de Nerval appris autrefois au lycée :
« Il est un air pour qui je donnerais
Tout Rossini tout Mozart et tout Webre
Un air très vieux languissant et funèbre
Qui pour moi seul a des charmes secrets .»
Me remémorant ces vers, je me suis dit quant à moi, je ne donnerais certainement pas tout Mozart, sûrement pas ce quintette ni son sublime concerto pour clarinette et orchestre…
Un clin d’œil qui amuserait les auteurs de ce CD qui en est bourré, car il représente une belle histoire d’amitié musicale en cascade entre le jeune clarinettiste français Pierre Génisson et le Quartet 212, quatre musiciens américains de l’orchestre du Metropolitan Orchestra de New York, dont le violoniste solo David Chan (ah ce premier violon !) et le violoncelliste solo Rafael Figueroa. Des musiciens hors pair, à en croire par exemple le chef d’orchestre français Alain Altinoglu, qui ayant beaucoup dirigé au Met, éprouve à leur égard à tous le plus grand respect…
Apparemment, ce Quartet 212 (212 étant aussi l’indicatif téléphonique de New York !) s’est créé en 2012 lors du festival « Musique et Vin au Clos Vougeot en Bourgogne », et la rencontre avec Pierre Génisson s’est également faite sous ces mêmes auspices. Mais pourquoi avoir appelé ce CD « How I met Mozart » (Comment j’ai rencontré Mozart ?). L’allusion est double : jeu de mot sonore avec la série US très populaire « How I Met Your Mother » (Comment j’ai rencontré ta mère, sic !), et rappel du fait que les membres du Quartet 212 sont membre de l’orchestre du Met : que ne faut-il pas faire pour frapper l’esprit du public américain !
Visiblement Pierre Génisson, qui partage maintenant sa vie entre les deux continents, a pensé en priorité au public yankee, et d’ailleurs, exceptionnellement, le label français Aparte a procédé à l’enregistrement à New York, à l’Académie américaine des Arts et des Lettres dont l’acoustique est parait-il exceptionnelle. Mais pour notre enchantement, les cinq musiciens étaient bien présents sur la scène de Gaveau le 13 juin dernier pour la soirée de lancement du disque en Europe.
Il serait trop long de retracer le parcours déjà brillantissime de ce jeune clarinettiste français (31 ans) né à Marseille, « monté » à Paris au conservatoire, puis parti se perfectionner sur la côté Ouest des Etats-Unis (USC, University of Southern California, Los Angeles). Il se produit dorénavant dans le monde entier et va jusqu’à donner des master classes en Asie (ayant notamment remporté en 2014 le 1er prix et le prix du public du Concours International Jacques Lancelot à Tokyo ).
Ce disque « How I Met Mozart », dans lequel il ne rencontre pas que Mozart, est son second chez Aparte, son premier, marqué comme il se doit Made in France, enregistré avec l’excellent pianiste David Bismuth, paru en 2014, ayant été « salué par la presse », comme on dit (Diapason d’Or de la revue mensuelle Diapason). L’année suivante, il avait enregistré, mais pour le label allemand classique Oehms, le Trio pour clarinette, alto et piano de Schumann avec Adrien Boisseau (altiste) et Gaspard Dehaene (pianiste), deux autres « petits génies » français de la nouvelle génération.
Pierre Génisson nous donne donc l’occasion de saluer à nouveau ce label français Aparte que nous avions déjà croisé en mars dernier lors de la sortie du CD Chamuyo, fruit d’une exceptionnelle collaboration entre musiciens français et argentins de Paris.
Fondé en 2008 par Nicolas Bartholomée, le label s’appuie sur la structure d’enregistrement Little Tribeca (clin d’œil au très branché quartier de New York…), et s’est fait et se fait le découvreur et l’accompagnateur de bien des jeunes talents français. Mais il vient aussi de nous donner un disque consacré à Gabriel Fauré par le maestro Michel Dalberto. Quant un maître comme ce dernier, dans la soixantaine, se consacre à l’œuvre pour piano d’un compositeur comme Fauré, autant dresser l’oreille. Nous connaissons tous le Requiem de Fauré (une des œuvres favorites du très célèbre et très mélomane « Inspecteur Morse » créé par l’écrivain anglais Colin Dexter !), un peu moins sa Pavane, qui, sitôt écoutée, ne nous lâche pourtant pas.
Mais l’œuvre pour piano de Fauré sous les doigts de Michel Dalberto est tout simplement une révélation, qui lui a valu un Diapason d’or dans la revue de mai dernier. De ballade en nocturne, d’impromptu en thèmes et variations, nous parvenons aux trois nocturnes 9, 11 et 13 et découvrons disons un « Fauré nouveau » :
« Jamais je n’aurais imaginé pareil Nocturne N°9, avec ses lambeaux de sons qui hurlent de désespoir […] », va jusqu’à écrire le critique Alain Lompech dans la revue.
Pour en revenir à Mozart, signalons que la nouvelle Seine musicale située en proue de l’Ile Seguin à Boulogne (voir https://www.lessoireesdeparis.com/2017/05/22/de-lhysterie-a-lopera/) fera concurrence, à sa manière, au CD « How I Met Mozart », en programmant du 24 au 26 juin trois journées intitulées Mozart Maximum. Puis l’omniprésent Mozart laissera la place en juillet à l’American Dance Theater ALVIN AILEY.
Lise Bloch-Morhange
http://www.pierregenisson.com/
http://www.apartemusic.com/catalogue/
http://www.laseinemusicale.com/fr/