Ce n’est peut-être pas la pièce maîtresse de l’exposition mais cette « Nature morte » aurait pu servir d’enseigne au peintre Fernand Léger s’il avait eu pignon sur rue. Sa façon géométrique d’occuper la surface à peindre, son choix des couleurs, les trois lettres de l’alphabet, cet indéniable esprit de modernité qui ressort de la toile enfin, font qu’on la retient comme un point de repère au sein des cinq décennies de création de l’artiste présentées au Centre Pompidou Metz jusqu’au 30 octobre.
Fernand Léger a eu la chance de survivre à la grande guerre. Il est né en 1881 et il est mort en 1955. C’est un ancien collaborateur des Soirées de Paris, revue dans laquelle il écrivait en 1914 que « l’homme moderne enregistre cent fois plus d’impressions que l’artiste du 18e siècle (…) à tel point que notre langage est plein de diminutifs et d’abréviations. La condensation du tableau moderne, sa variété, sa rupture des formes est la résultante de tout cela ». Contrairement à Apollinaire, il a passé vivant le cap de 1918 et à l’opposé de Max Jacob, il également enjambé la seconde guerre mondiale et continué sur sa lancée. Mais ce sont ces deux hommes qui lui ont fait découvrir le cinéma en 1916 et grâce à cela il va s’investir dans des œuvres comme « L’inhumaine » de Marcel Lherbier en réalisant à la fois l’affiche et les décors dans une ambiance hypnotique.
C’est l’un des grands intérêts de cette exposition que nous faire découvrir les multiples alphabets de Fernand Léger, que ce soit dans le cinéma, l’écriture, la typographie, la maquette, l’architecture, la décoration et bien entendu la peinture. Le parfait agencement du tout encouragera le visiteur à refaire le parcours afin de vérifier de n’avoir rien oublié de cette foisonnante pluridisciplinarité. Et même de l’inciter à quitter les lieux muni de l’album ce qui constituera une agréable façon de tuer le temps dans le TGV du retour.
Le parcours de l’exposition commence par « La noce » une grande réalisation d’inspiration cubiste que le peintre inscrit au Salon des Indépendants en 1912. Elle sera jugée obscure à l’époque, il faut dire que son abord n’est pas d’emblée facile, mais il faut prendre la peine de stationner devant afin d’en découvrir les riches subtilités. Seul Apollinaire en authentifie l’importance quand il écrit dans Le Petit Bleu en mars 1912: « Le tableau de Léger ressortit à la peinture pure. Aucun sujet, beaucoup de talent ». Il y a dans « La noce » un mélange d’influences complexe préfigurant un style qui s’émancipera au point qu’un Léger se reconnaît depuis à dix pas.
Pour Fernand Léger, « Le beau est partout » y compris dans une « batterie de casseroles sur le mur blanc d’une cuisine ». Lui a l’œil, une capacité de détection hors normes, au point qu’il élargit le champ de la beauté, qu’il la reconstruit, lui invente des formes, lui donne des couleurs nouvelles, l’épanouit dans un monde à la fois très personnel et surréaliste. Il y adjoint rarement de l’humour à cette exception notable de « Cirque », un livre-objet dans lequel figure une illustration des plus réussies, titrée de l’intérieur et qui dit « Je ne te demande pas si ta grand-mère fait du vélo ».
Jusqu’au bout Fernand Léger n’a pas faibli. En témoignent sa remarquable « Partie de campagne » ou encore « Les constructeurs », cette dernière œuvre relevant de sa sensibilité au monde ouvrier et plus largement de son engagement à gauche. En épousant son siècle, l’homme a pleinement profité des espaces ouverts par la modernité, trompant souvent le chevalet pour d’autres expérimentations. Cela tient beaucoup à son ouverture sur les autres, à ses rencontres avec Apollinaire on l’a dit, mais aussi avec Blaise Cendrars, Robert Delaunay, Marcel Duchamp, le Corbusier, Henry Miller, Charlotte Perriand… et jusqu’aux frères Fratellini, trio de clowns dont il était admirateur.
On aura compris que cette exposition vaut un déplacement à Metz. Justement titrée « Le beau est partout ». On n’en appréciera que davantage un verre ou un déjeuner sous les arcades de la place Saint-Louis qui donnent à la métropole messine des airs de Toscane ô combien bienvenus.
PHB
Fernand Léger « Le beau est partout » Centre Pompidou Metz, jusqu’au 30 octobre 2017
Merci pour votre belle présentation de l’expo Fernand Léger au Centre Pompidou de Metz et le coup de pouce pour conseiller au plus grand nombre de passionnés de faire cette visite à Metz.
J’irai moi-même voir cette expo le 10 juin prochain.
Cordialement,
P.H.
J’ai toujours pensé que, vue son œuvre, Léger portait très mal son nom…
Je crois, par contre, qu’il avait un cœur d’or.
André Lombard. 84 Viens.