Pour qui veut se faire son cinéma, le Parc des Buttes-Chaumont offre un substrat des plus riches. Sur le pont qui enjambe le lac il est loisible de rêver soit à un méandre de la rivière Kwaï soit à un détail de la baie de Ha Long grâce au monticule rocheux qui rappelle qu’ici on exploitait la pierre. Cela fait 150 ans depuis le 1er avril que la carrière est devenue un parc grâce à la volonté de Napoléon III et aux bons offices de Jean-Luc Alphand, Gabriel Davioud, Eugène Belgrand et Jean-Pierre Barillet-Deschamps.
Au départ pelé comme une termitière, le lieu est devenu un parc assidûment fréquenté par un riche brassage de Parisiens. Beaucoup y ont fait leurs premiers pas, certains y font fêté leur mariage, célébré à la mairie juste en face. Les Buttes sont comme un carrousel, on y va pour en faire le tour, de la circonférence extrême à celle du lac, plus modeste. Ceux qui courent préfèrent en général le grand large éjectant leurs crachats soit en oblique vers les taillis, soit en parabole hasardeuse, soit vers le sol ce qui fait que l’itinéraire est constellé de salive séchée. La cohabitation n’est pas toujours simple avec les promeneurs en civil, obligeant les coureurs à des slaloms contrariés.
Les piétons reflètent l’extrême variété de la population environnante. Certains signes permettent de les distinguer. Ainsi cette mère qui laisse pédaler son enfant sur son vélo en bois issu de l’économie circulaire et ce père qui regarde ravi son fils écraser l’accélérateur de sa voiture électrique. Il y a cette femme mûre qui, en ce beau jour de mai a choisi de bronzer en bikini sur la pelouse qui borde le lac tandis qu’une femme passe entièrement voilée à sa hauteur en compagnie de son mari. Il y a aux Buttes Chaumont une coexistence de genres qui n’est pas sans rappeler la tolérance des parcs londoniens.
D’autres s’y rendent pour s’installer à l’aise sur les pentes et jouir d’une vue dégagée. On y lit, on y écoute de la musique, on y boit, on y fume des joints sans que là encore cela ne crée des problèmes de cohabitation. Il y aussi le coin des promeneurs de chiens qui s’y retrouvent aux heures où les gardiens ne sont pas trop regardants sur l’absence de laisse. Chacun y trouve sa place, qui sur un banc pour lire son journal, qui sur une des terrasses pour y consommer un rafraîchissement, qui sur un manège pour y faire encore et encore des ronds. Les très jeunes enfants sont les seuls à ne pas téléphoner mais l’usage du mobile se répand quand même chez eux car lorsqu’ils pianotent ils oublient de pleurer.
Quand le soir tombe, le parc ferme. Et malgré les multiples coups de sifflet du personnel, des étourdis se laissent toujours enfermer dans l’enceinte. Et ce qui est drôle, à l’heure même où on les évacue, ce sont ceux qui y entrent clandestinement au risque de s’empaler sur les grilles. Eux profiteront du spectacle discret de la faune locale qui savoure la paix retrouvée pour s’exprimer enfin, du hibou en passant par le hérisson et jusqu’au renard aperçu encore récemment sur l’ancienne voie ferrée de la petite ceinture. L’attrait des Buttes ne connaît pas de pause et son relief escarpé les protège (du moins jusqu’ici) des projets de réinventions fantaisistes d’une municipalité toujours prompte à fondre sur les lieux qu’elle juge figés dans le formol.
PHB
NB: Le parc des Buttes-Chaumont peut aussi être parcouru sous une pluie raisonnable. Il est alors métamorphosé, ce qui a déjà été narré sur Les Soirées de Paris.
Lorsque je me rends à Paris, je ne manque jamais de passer un moment à Belleville et
de prendre le métro jusqu’à télégraphe et de faire un petit tour dans le parc des buttes de chaumont. Merci beaucoup pour ce rappel , et l’ambiance que vous relatez fort bien .
DONATIEN ROUSSEAU
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