La surprise est venue au détour d’un documentaire présenté sur France 3, le vendredi 28 avril. Il s’agissait d’un long portrait de Jean Gabin, acteur qui n’avait pas son pareil pour emballer les plus belles actrices. Et voilà qu’au milieu des 110 minutes, était montré un extrait de « La minute de vérité », film de Jean Delannoy sorti en 1952. Dans une scène où un couple règle ses comptes, Gabin dit à Michèle Morgan: « d’autant plus que je n’ai pas de charme moi, je ne dessine pas de chevaux moi, je ne suis pas intelligent moi, je ne me casse pas la tête contre Apollinaire moi, je suis un pauvre con moi!. » Anecdotique? Pas vraiment. Trois fois au moins sur ses 95 films, Jean Gabin citera Apollinaire.
Jean-Alexis Moncorgé dit Jean Gabin (comme le nom d’artiste de son père) est né en 1904 à Paris, à une époque où Guillaume Apollinaire avait 24 ans. Et le fameux personnage de « Quai des Brumes » ou de « Pépé le Moko » devait bien avoir, caché dans ses préférences littéraires, un peu d’Apollinaire. En 1959, c’est sur une idée à lui que Gilles Grangier réalise « Archimède le clochard » un film cousu main où par conséquent, Gabin cabotine un peu dans le rôle d’un SDF céleste. Archimède ramène un jour un chien de race chez sa riche propriétaire, jouée par l’irrésistible Jacqueline Maillan. Portant un toast dans une assemblée un peu snob, il cite cet extrait du « Mal-aimé »: « Mon beau navire, ô ma mémoire avons-nous assez navigué dans une onde mauvaise à boire. Avons-nous assez divagué de la belle aube au triste soir. » L’un des invités faisant remarquer avec dédain que ces « gens-là sont drôles un moment et puis ils disent n’importe quoi », se fait alors moucher par une jolie femme qui lui rétorque avant de s’éloigner: « Les vers étaient d’Apollinaire ». Nous en sommes donc à deux épisodes ou le grand auteur de « Alcools » est cité, mais ce n’est pas terminé.
Car trois ans plus tard, quand Henri Verneuil réalise « Un singe en hiver » d’après un beau roman d’Antoine Blondin, le dialoguiste Michel Audiard profite d’une des nombreuses scènes de beuverie qui jalonnent ce film de poivrots distingués notamment interprétés par Gabin et Belmondo, pour installer des vers d’Apollinaire opportunément sortis de « Alcools » dans le poème « Marizibill ». Exaltant le Yang-Tsé-Kiang et ses deux couleurs, Albert Quentin (Jean Gabin) conclut ainsi sa tirade au milieu de ses propres vapeurs: « Elle s’était mise sur la paille/Pour un maquereau roux et rose/ C’était un Juif, il sentait l’ail/ Il l’avait, venant de Formose/Tirée d’un bordel de Shanghai. »
Sauf erreur, l’inclusion de l’œuvre de Guillaume Apollinaire dans la carrière cinématographique de Jean Gabin ne se reproduira plus. Mais ces trois occurrences sont assez extraordinaires en nombre pour être recensées. L’apparition de son nom au sein d’une dispute conjugale était un signal commandant une recherche plus approfondie. Le documentaire, « Un Français nommé Gabin » qui contenait cette scène est disponible en replay jusqu’au 5 mai. Une réussite au passage, que ce portrait d’un personnage hors-normes que l’histoire a remisé dans ses fichiers.
PHB
Le visionnage intégral de « Archimède le clochard » sur Youtube
La scène de « Archimède le clochard » sur Vimeo
La scène du « Singe en hiver » sur Youtube
La scène de « La minute de vérité » sur Vimeo
Vous avez aussi un de peu de Gabin caché avec Apollinaire dans vos références culturelles
Bravo
Bravo Philippe !
Non seulement vous rendez hommage à Guillaume, mais vous ouvrez le champ pour un exercice littéraire magnifique…
En prenant la filmographie d’une Isabelle Huppert ou d’un Gérard Depardieu, si riche, si diverse, on doit trouver des dizaines de citations littéraires, voire comme vous l’avez fait avec Gabin, on doit découvrir quel est l’auteur de prédilection de l’acteur via les personnages qu’il incarne…
encore bravo au vaillant explorateur que vous êtes !