Finalement, celui qui s’en sort le mieux, c’est celui qui joue l’imbécile. Il vient de reprendre un restaurant et « briefe » son équipe de serveuses avec des principes de management débiles. L’une des serveuses, Aurore, est interprétée par Agnès Jaoui avec ce jeu si particulier dont elle ne se départit plus quel que soit le rôle qui lui est attribué. À vrai dire presque rien ne fonctionne correctement dans ce film qui additionne pourtant moult talents.
Aurore est au centre de l’intrigue. Le scénario la surprend en pleine cinquantaine alors qu’elle vit séparée, qu’elle a échangé ses règles contre des bouffées de chaleur, qu’elle doit vivre de petits boulots avec le préjudice du statut de senior et qu’elle s’apprête à devenir grand-mère ce qui lui cause une sorte de révélation psychologique. Tout ça aurait pu faire une de ces comédies aimables de printemps, peu accaparantes intellectuellement, mais heureusement délassantes et Dieu sait si cette période détraquée appelle au délassement.
A part quelques rares parenthèses qui tiennent la route, il est quand même nécessaire de déconseiller le visionnage de cette « Aurore », tellement ce film fonctionne comme un piano horriblement désaccordé. Ce qui compte c’est l’intention entend-on dire souvent. Et on la voit bien cette intention qui était de raconter une histoire où chacun aurait pu se reconnaître dans ces petits épisodes cocasses qui émaillent ou devraient émailler la vraie vie. Avec un si bon casting, il y avait de quoi faire un de ces films qui rattrapent toute une journée de contrariétés.
Vue notamment comme actrice dans l’excellent « Bancs publics » de Denis Podalydès, la réalisatrice Blandine Lenoir s’est de toute évidence évertuée à chercher le ton juste en actionnant malheureusement les mauvaises manettes et multipliant les fausses trouvailles. À peu près tout sonne faux, les scènes comme la succession des scènes. Et le talent des comédiens qui donnent sans doute le maximum d’eux-mêmes ne fait qu’accentuer cette artificialité qui plombe l’histoire de bout en bout. Au lieu de compenser la partition pour le moins bancale, ils l’aggravent au point que la gêne s’installe. Néanmoins on s’impose d’aller jusqu’au bout en espérant une fluidité qui deviendrait enfin naturelle dans une atmosphère devenue respirable parce que crédible. Les mauvais débuts existent en effet et la patience comme l’indulgence peuvent être récompensées sur la distance. Mais hormis quelques instants sauvés, le salut ne vient jamais. La fin semble tronquée et le générique arrive comme un soulagement.
Et pourtant on l’aime bien Agnès Jaoui. En tant que réalisatrice, avec son complice Jean-Pierre Bacri, elle en a réalisé des bons films (« Le goût des autres, « Comme une image », « Parlez-moi de la pluie » pour ne citer que ces trois-là), écrits, travaillés, originaux, bien filmés enfin. Son seul problème est d’être Agnès Jaoui et rien qu’Agnès Jaoui. Elle passe de film en film avec cette façon de jouer qui lui est propre mais dont elle est prisonnière. Dans « Aurore », elle tente d’échapper à son propre système en jouant un peu avec les curseurs. Elle y met beaucoup d’énergie sans toutefois sauver une histoire de ménopause en réalité augmentée qui de toute évidence ne la méritait pas.
L’affiche en laisse accroire et la bande-annonce résonne comme de la fausse-monnaie. Comme le disait crûment Depardieu dans « Les Valseuses », « je préfère aller pisser au moins je sentirai quelque chose » (de vrai).
PHB
Pourtant ça faisait envie…
Une chronique d’autant plus dissuasive qu’on sait l’égratignure n’être pas le sport favori de l’auteur.