Les gens du coin l’appelait « Pépin » parce qu’il fixait toujours un parapluie à son chevalet. Dans la réalité son patronyme était Hector, Pierre Hector. Il s’était établi pour l’été dans ce coin de Normandie. En cette année 1938, il prenait sa voiture tous les jours afin de mieux saisir la pointe du Hoc qu’il s’acharnait -selon lui- à rater. Sa myopie faisait qu’il peignait comme Cézanne, du moins c’est ce qu’on lui disait à Paris.
Hector s’était fait remettre dans une agence de tourisme des grands boulevards parisiens, un guide qui l’avait séduit. Cet opuscule rouge sombre vantait alors les charmes simples de Ouistreham Riva-Bella. C’était sous l’égide du président du syndicat d’initiative, de cette petite station balnéaire du Calvados, que ce guide avait été édité. « Nous avons le souci de n’offrir à nos visiteurs que des indications utiles et des précisions, y était-il écrit avant de conclure sur la certitude que chaque hôte goûterait sans aucun doute « le charme délicieux de la Côte de Nacre« . Avec un rien de vantardise, le préambule soulignait que la Cie des Chemins de fer du Calvados avait délivré quelque 87.000 billets de transport en 1927 et 163.000 (ce dernier chiffre étant en gras) en 1932. Pierre Hector avait noté qu’une messe était célébrée tous les dimanches à huit heures à la Chapelle des Baigneurs avenue Georges Clemenceau et aussi remarqué, que le Petit Casino organisait régulièrement des thés dansants ce qui avait achevé de le convaincre. Il y avait aussi un bon choix d’hôtels et le guide comportait même la liste intégrale des abonnés au téléphone. L’hôtel de la Plage qu’il avait choisi était joignable au numéro quatre et le Central-Garage Aeschliman pour l’entretien de son automobile, pouvait être joint en composant le 35.
Maintenant, son séant étroit creusait la toile du pliant. Le vent n’était pas trop fort ce jour-là mais il était quand même obligé de recaler son canotier à intervalles réguliers sur sa tête. Il aurait pu l’ôter le temps de son travail mais il tenait beaucoup à sa tenue, composée d’un costume gris-sombre qui lui donnait de l’allure même de loin et, il portait en outre une cravate rouge-sang à moitié dissimulée sous le gilet. La pointe du Hoc était alors un motif d’excursion assez mince mais son avancée dans la mer lui conférait, selon Pierre Hector, un bon potentiel pour une peinture de paysage. Il ne s’était pas encore décidé à y inclure ou non un bateau de pêche. Il savait que cela ferait davantage plaisir à sa mère mais il trouvait l’artifice désuet voire un peu rural.
Pour se délasser un moment, comme tout bon Parisien qui se respecte face à la Manche, Hector avait fini par se déchausser et relever ses braies sur ses mollets couleur craie pour s’en aller fendre un peu l’onde. Son arrivée déclencha toute une fête de cercles concentriques et semi-concentriques. Il proférait des petits « ouh, ouh » avec sa bouche et se sentait très gai. Il songeait à son séjour sans nuages et notamment à cette pointe du Hoc qu’il avait plutôt réussi à géométriser, quand une vague inattendue lui passa par dessus en même temps qu’un trou l’aspira.
Son tableau signé P.Hector coule toujours des jours tranquilles dans une maison de l’Iowa. La peinture avait été retrouvée dans un bâtiment en ruine par un militaire américain dans les semaines ayant suivi le Débarquement en 1944. Deux ans plus tard on exhuma son squelette enfoui qui avait pris la couleur des parois de la pointe du Hoc. Compte tenu du lieu, il fut hâtivement décidé qu’il appartenait au puzzle immense des ossements anonymes et apatrides. Le frêle Pierre Hector dont les pieds étroits à la pâleur de nymphe n’auraient pas réussi à effrayer un banc de jeunes crevettes en sortie du dimanche, ce paysagiste consciencieux et sensible enfin avait rejoint bien malgré lui, les restes mélangés d’un magma de combattants sacrifiés.
PHB
0u donc est cette pointe d’Hoc et comment le tableau du sieur Hector se retrouve-t-il dans l’Iowa?
Tant de mystères. …
La pointe du Hoc est un élément géographique essentiel au dispositif du débarquement américain en Normandie. De nombreux soldats ont péri (des deux côtés) au cours de l’assaut. PHB