En prenant de l’altitude pour cadrer la ville de Flint, dans le Michigan, Philippe Chancel a obtenu une photo artistique. Comme on peut le voir sur la vue partielle ci-contre, le site rasé de General Motors évoque désormais une de ces œuvres géométriques qui faisaient le bonheur des amateurs d’art dans les années soixante. Ce tirage laser est l’un des plus attachants parmi toutes les photos exposées à la Fondation Cartier dont le thème est, jusqu’à saturation, la bagnole.
Il se trouve que c’est en France que l’on a inventé à la fois et dans l’ordre la voiture puis la photographie. C’est Joseph Cugnot qui a conçu le « fardier » en 1769, un engin à vapeur capable de croiser à quatre kilomètres par heure dont un exemplaire est visible au Conservatoire des Arts et Métiers. Et ce sont Nicéphore Niépce puis Louis Daguerre qui lancèrent les premiers procédés photographiques. Au vu de l’exposition « auto-photo » qui vient de débuter à la Fondation Cartier, on peut dire que les deux idées ont non seulement fait du chemin, mais que le propos consistant à réunir la paire dans un jeu de miroirs scénographique est chargé de sens. Au point d’ailleurs que l’exposition, pourtant fort généreuse, ne peut embrasser tout le spectre.
Comme le faisait remarquer une visiteuse décidée à ne pas s’en laisser conter par l’amour de la voiture, « ce qui compte c’est le prisme que constitue l’automobile, la thématique pourrait aussi bien se faire autour d’un séchoir à cheveux« . Comme ne lui a pas rétorqué le visiteur auquel elle répondait, on ne s’en va pas en vacances en sèche-cheveux . Le visiteur a d’ailleurs bien fait de ne pas lui donner son point de vue car elle aurait pu aussi bien renchérir en soulignant que le fin du fin consisterait soit à emporter son séchoir en voiture ce qui est une façon d’occuper son temps en regardant le paysage soit utiliser un cabriolet, objet roulant qui n’est à bien regarder, qu’un grand séchoir mobile avec miroir de maquillage incorporé.
Il n’empêche que le prisme en question fonctionne plein pot ce qui est une façon facile de jouer sur les mots. La Fondation Cartier a convoqué pour son affaire le Gotha des photographes de Jacques-Henri Lartigue aux plus récents. Il y a une section où la voiture est au centre de l’objectif et une autre où elle est si l’on peut dire le véhicule d’un propos. Les amateurs de poésie, de littérature ou de cinéma y retrouveront comme une vieille connaissance, ce vecteur de liberté individuelle qu’est l’automobile. Elle est non seulement ce cocon qui permet de s’isoler du monde extérieur mais elle est aussi l’habitacle qui permet d’aller voir ailleurs au contraire d’un trois-pièces salon-salle à manger figé dans son enceinte de béton. Le rêve qu’elle suscite a été capté de multiples façons par de multiples photographes ainsi cette photo de Robert Franck où l’on voit une voiture sur le côté de la route à un moment qui semble être l’aube. Il y a de l’eau sur le pare-brise et une jeune femme à l’intérieur rend songeuse, frileuse et ensommeillée par l’effet de buée.
Quant à ceux qui aiment l’art, ils seront sans aucun doute séduits par les compositions qui émaillent le parcours, comme celle qui fait d’une succession de détails (rétroviseurs, optiques arrières, bout de calandre ou de portière) une réalisation abstraite assez bien vue et signée Ronni Campana ou encore ce mur de photos de vacances qui ne manquera pas de ressusciter la mémoire rétinienne des anciens enfants ayant des souvenirs de départs en vacances dans des 404, DS et autres Renault 16 débordant de bagages et d’envies de plage.
Au sous-sol de ce beau bâtiment qui a pris pour l’occasion des allures de grand garage, se trouve un mur animé de photographies en couleurs prises sur les grands salons automobiles. Ce sont les hôtesses qui se trouvent cette fois au cœur du sujet tant il est vrai que les constructeurs les ont toujours et objectivement considérées comme des appâts qu’il convenait de carrosser pour le mâle en quête de sa prochaine monture mécanique. C’est d’ailleurs devant ce mur d’images que la visiteuse a fait entendre au visiteur que ce qui comptait c’était le prisme pas la voiture.
PHB
PS: Au sortir de la fondation, cinquante mètres plus bas sur le boulevard Raspail, se trouve une petite station-service osant encore vendre de l’essence. Elles sont de moins en moins nombreuses à Paris mais certaines font de la résistance afin de servir ceux qui voient mieux l’évasion sur quatre roues qu’entassés dans un TER à trajet et horaire fixe.
J’ai bien ri à lire ce billet. Bien vu, la décapotable qui certes sèche les cheveux mais pas autant qu’elle les décoiffe. Bien dénoncé aussi ce récurrent machisme de Salons associant deux types de carrosseries dans le même espace.