L’une des formes de management les plus courantes, en situation de crise, est d’arriver à faire en sorte que le salarié demande lui-même son départ. Si cela ne fonctionne pas, la phase II peut consister à le mettre en « mobilité » jusqu’à ce qu’il finisse par envisager la sortie. Si le « plan » est mal maîtrisé, cela peut déboucher sur un suicide. C’est cette histoire que raconte « Corporate ».
Le film de Nicolas Silhol qui vient de sortir en salles est globalement réussi, quoiqu’un peu romancé dans ses rebondissements finaux, mais il fallait bien charpenter le scénario. L’ensemble, un peu traité comme un thriller, est efficace. « Corporate » n’est pas basé sur une histoire vraie mais sur des histoires vraies, si tant est que l’on suive un peu l’actualité tragique qui a émaillé la gestion des ressources humaines, que ce soit dans le public ou dans le privé.
Dans le cas qui nous occupe il s’agit d’une entreprise moderne avec un Lambert Wilson plutôt probant dans le rôle du patron cynique. Il a donc élaboré un plan baptisé « Ambition 2016 », qui vise à faire le ménage sans que cela conduise à procéder à trop de licenciements coûteux. Élaboré, le plan contient notamment des techniques d’entretien visant à amener le salarié dans une impasse telle qu’il ne peut qu’envisager son départ. La finesse, si l’on peut dire, est d’arriver à lui répondre s’il s’interroge à haute voix sur la volonté de l’entreprise de le voir partir: « mais c’est à vous de décider« . Il y a aussi des documents de type Powerpoint sur la gestion de la poursuite du processus comme la très poétique infographie figurant une « courbe de deuil« . Tableau partir duquel, le cadre qui programme la séparation de l’un de ses subordonnés, peut suivre une par une les différentes phases d’énervement et d’accablement jusqu’à l’acceptation. Comme une marelle infernale dans laquelle tout demi-tour est exclu.
Jusqu’au jour où « boum », un corps chute dans la cour de l’entreprise. L’horloge se dérègle, il faut régler la crise. La « RH », bien interprétée par Céline Sallette, est alors au centre du jeu, tiraillée entre son patron et l’inspectrice du travail qui mène l’enquête (Violaine Fumeau). La « RH » qui était là au départ pour appliquer sans états d’âme le plan « ambition 2016 », ouvre peu à peu les yeux sur son rôle revendiqué de « killeuse », jusqu’à un dénouement qu’il serait dommage de révéler ici.
La limite de ce film qui se laisse voir sans regarder sa montre, c’est qu’il passe à côté de la réalité quotidienne des entreprises où il apparaît nécessaire de se débarrasser des gens, en faisant en sorte qu’un jour, un salarié demande de lui-même à poser la tête sur le billot. Le scénario masque en effet ces milliers de salariés qui tiennent plus ou moins -et plutôt moins que plus-, sous la pression d’un harcèlement qui les amène à consommer des anti-dépresseurs, qui les détruit progressivement jusqu’à atteindre leur entourage. Ce qui est dénommé à juste titre comme de la maltraitance par celui ou elle qui subit, n’est pas davantage que la caractérisation d’une technique de gestion visant via des recettes variables à redimensionner une masse salariale et son coût. Parfois cela peut coûter cher à l’entreprise mais ce type de risque financier, est la plupart du temps, dûment provisionné.
Selon que l’on a été vireur ou viré (ou les deux), selon que l’on a été ou non un témoin de ce genre d’événement même dans un registre moins grave, selon que l’on soit cynique ou sensible, l’appréciation du film sera à géométrie variable. Mais sans conteste possible Nicolas Silhol a mis le doigt là où ça peut faire (très) mal.
PHB
Que le prochain « DRH » élu le 7 mai rétablisse « Les dossiers de l’écran », car ce film serait parfait pour un débat !
(Je ne sais pas si c’est aider le film que de dire ça !)