Peut-être songe-t-elle à ce qu’elle avait rêvé, soit une vie brillante et mondaine au côté de Pablo Picasso. Peut-être médite-t-elle sur les désillusions qui ont suivi leurs nombreuses disputes. Sans doute se souvient-elle (détail de son portrait par Picasso ci-contre) de sa première rencontre avec l’artiste. Très souvent Picasso l’a représentée pensive. Mais le regard d’Olga Khokhlova garde devant nous ses secrets. Elle est le centre d’une exposition thématique au musée Picasso jusqu’au 3 septembre.
Olga se situe chronologiquement entre Eva et Marie-Thérèse parmi les compagnes du peintre. Cette fille de colonel est née en 1891 en Ukraine, pays qui fait alors partie de l’empire russe au même titre que la Pologne. C’est une danseuse, membre depuis 1912 des ballets de Diaghilev. À ce titre elle part à Rome au printemps 1917. Au début de cette année-là Jean Cocteau persuade Pablo Picasso de se rendre dans la capitale italienne pour participer au décor de « Parade », un spectacle-ballet dont le poète est l’auteur avec le chorégraphe Léonide Massine et le compositeur Erik Satie. Le peintre saute sur l’occasion d’aller se changer les idées. C’est là qu’il fait la connaissance de la belle Olga, âgée de 26 ans, soit dix ans de moins que lui. Ils ne se quittent plus et Pablo la présente à sa mère lors d’un passage à Barcelone.
Cette rencontre enclenche un retour du peintre à une production davantage classique ce qui, dans son cas, reste tout à fait relatif étant donné la modernité de ses exécutions. C’est le début d’une période respectable faite de sorties mondaines, qui va quelque peu éloigner Pablo de ses amis habituels. Le couple va d’abord vivre à Montrouge puis se marier en juillet 1917 à l’église russe de la rue Daru (Cocteau, Max Jacob et Apollinaire seront ses témoins) avant d’emménager dans le luxe au 23 rue de la Boétie. Picasso va comprendre le danger de cette vie trop rangée. Juste au-dessus de leur appartement impeccable, il loue un logement pour y recréer un désordre davantage conforme à la projection de son univers créatif. De cette union avec Olga naîtra leur fils Paul en 1921.
L’exposition en cours au musée Picasso est le reflet de cette parenthèse sage, aux apparences conformistes. Aux portraits d’Olga visibles au musée se succèdent ceux du fils y compris dans une série de photos de famille comprenant d’authentiques photomatons. On sent bien que chacun, en déployant maints efforts, s’accroche à la perpétuation d’un couple stable. Mais en 1929, la représentation d’Olga dans le « Grand nu au fauteuil rouge » indique qu’elle n’est plus qu’une douleur mentale, transposée par l’artiste. Littéralement, la peinture en question évoque une évacuation dans un siphon de cauchemar. Marie-Thérèse elle, est en embuscade, passager clandestin qui va apparaître en 1927 alors qu’elle n’a que dix-sept ans. La séparation aura lieu en 1935 cependant qu’ils resteront officiellement mariés jusqu’au décès d’Olga en 1955.
Chez Picasso, il n’y pas de période qui ne soit hautement significative. Le chaînage de l’une à l’autre caractérise l’évolution de sa création. Ce sont toujours des liaisons dangereuses dont certaines protagonistes ne se remettront pas. Dans tous les sens du terme, seule Françoise Gilot a survécu. À l’heure où ces lignes sont publiées, elle a 95 ans. Elle a été sa compagne de 1944 à 1953 avant de poursuivre sa propre vie d’artiste-peintre.
PHB
« Olga Picasso », jusqu’au 3 septembre 2017, 5 rue de Thorigny 75003 Paris