Le jeune homme demande « où va le tunnel » et la jeune femme lui répond « à la mer ». A ce moment du film on ne sait pas encore que ce tunnel aura une double fonction. La relation amoureuse entre Stefan et Estelle en est à ses prémices. « More » est le titre d’un film sorti en 1969. L’histoire sensible qu’il raconte se déroule à Ibiza. Elle est racontée par Barbet Schroeder, cinéaste à part dont une rétrospective est organisée aux cinémas du Centre Pompidou en avril. C’est le premier film de Barbet Schroeder par ailleurs fondateur des Films du Losange. Difficile de dire que « More » n’a pas pris une ride mais en même temps il est resté intact. Ses deux principaux acteurs, Klaus Grünberg et Mimsy Farmer ont aujourd’hui plus de soixante-dix ans.
L’aventure démarre du côté de la place Stalingrad à Paris. Puis Stefan va rencontrer Estelle au cours d’une soirée germanopratine où l’on écoute de la musique psychédélique dans la fumée des joints. C’est un étudiant allemand en mathématiques au caractère quelque peu rigide et macho. Il veut vivre intensément, comme un peu tout le monde à ce moment-là, quitte à se brûler les ailes, quitte à en payer le prix fort. Barbet Schroeder se défend dans une interview avoir voulu filmer la période hippie. Il se trouve simplement que son scénario s’inscrivait dans cette époque. Il raconte qu’il a de son côté connu une jeune fille qui s’intoxiquait à l’héroïne. C’est l’histoire de « More ». Dans un premier temps, la drogue va apaiser les relations du couple avant de les exacerber davantage.
C’est un beau film. Ils ont à peine plus de vingt ans. Le décor est superbe tandis que la bande originale signée Pink Floyd enrobe le tout d’une langueur acide et multicolore. Chaque détail signe et date une tendance, comme la veste en peau de mouton retournée que porte Stefan ou le look du magnétophone à cassettes qui permettait enfin de transporter de la musique avec soi. Juste avant la première scène du tunnel, on voit Stefan assis à l’arrière du ferry-boat qui l’emmène à Ibiza. L’atmosphère est aux vacances, à la liberté, à la fête, à l’aventure. On se verrait bien à sa place.
Quand Estelle initie Stefan à l’héroïne, le film évidemment bascule. « More » est quand même une histoire d’amour « tragique » comme le souligne son réalisateur. Les sentiments vont se détraquer dans le volume d’une seringue. Exclusive, la drogue ne se partage pas longtemps. À ce moment reculé on parlait des dangers de l’accoutumance et non pas d’addiction qui est un anglicisme. En 1970, on l’a un peu vite oublié, Simone Veil allait mettre en place une des lois les plus répressives d’Europe pour les consommateurs de stupéfiants.
Alors qu’Estelle finit par s’éloigner, entraînée par son mentor allemand nostalgique des années nazi, Stefan cède à la rage puis au désespoir. Il part se cacher dans le tunnel du départ et s’administre une double dose d’héroïne. Il succombe immédiatement.
Barbet Schroeder récidivera dans le genre flower en 1972 avec « La vallée », dont l’actrice principale, Bulle Ogier deviendra sa femme. La musique sera encore signée Pink Floyd. Sa filmographie, très éclectique, contient d’intéressants éléments dont un documentaire sur Idi Amin Dada ou « Barfly » avec Mickey Rourke ou encore « Maîtresse » un film mettant en scène Bulle Ogier dans un contexte sado-masochiste.
« More » est un premier titre magistral à l’instar de « À bout de souffle » (1960) de Jean-Luc Godard réalisateur avec lequel d’ailleurs il a collaboré à ses débuts professionnels comme assistant stagiaire. Le film selon son auteur, emprunte aux méthodes de Eric Rohmer dans « La collectionneuse » (pas de prise de son directe, lumières naturelles) et reste très attachant pour ceux qui ont plus ou moins traversé cette période révolue. Comment parlera-t-il en avril à la jeune génération d’aujourd’hui, la question se pose.
PHB
Barbet Schroeder: rétrospective aux cinémas du Centre Pompidou du 21 avril au 11 juin
Il faut dire à tous nos amis que Barbet est un immense cinéaste…
Revoir ses films français, mais aussi ses documentaires (celui sur Idi Amin Dada) et ses films tournés ici et là… Comme le Mystère von Bulow… ou La Vierge des tueurs…
Son dernier film, Amnesia, avec Marthe Keller, méritait mieux que quelques sarcasmes… Il nous ramenait chez les vieux babas survivants de More et de La Vallée…
Et puis que penser aujourd’hui de Maîtresse… avec Bulle et notre Gégé national presque minot… et totalement dépassé par cette histoire sado-maso…
Barbet Schroeder est un des rares cinéastes français à avoir fait une oeuvre. On ne le sait pas assez… Un César d’honneur serait le bienvenu…