Outre la magnificence des tissus, des motifs, des teintures, des broderies… l’exposition « Kimono » que propose actuellement le Musée Guimet fournit aussi le prétexte à de nombreuses digressions à haute valeur pédagogique et suffisamment inattendues pour satisfaire une curiosité que l’on ne se soupçonnait pas !
Ça commence avant même de pénétrer dans la première salle. Un panneau d’accueil explique que la naissance du kimono s’est inscrite en opposition avec les costumes traditionnels de l’empire chinois, ceux-ci étant jugés malcommodes pour la vie quotidienne.
On lève un sourcil dubitatif : l’exposition à venir va-t-elle nous convaincre que le kimono sait s’adapter à toutes les circonstances d’une journée de ménagère nippone ou de marchand de l’ère Edo ? Réponse quelques mètres plus loin : « le port du kimono conditionne une gestuelle mesurée, celle des pas, des mouvements de bras. Le corps est entravé dans la marche, le buste ceinturé d’une ceinture (sic) aussi rigide qu’un corset. Le kimono est raideur, maintien, contrainte ». On se dit alors que l’inconvénient des socques en bois, genre de « platform shoes » de 20 à 30 cm de haut, doit paraître d’un inconfort dérisoire à la femme japonaise.
Un peu plus loin, un nouveau panneau fournit des explications étonnamment précises sur la confection d’un kimono : un rouleau de tissu de 35 cm de large, sept bandes droites découpées puis assemblées mais jamais recoupées, plutôt pliées et repliées. Pour un peu, on s’apprêterait à participer à un atelier « patron de couture » en fin d’exposition… Mais cette formule d’une coupe a priori basique permet de mieux comprendre le soin apporté aux matières et aux ornements pour magnifier le vêtement et surtout faire savoir à la ville et au monde la richesse et l’appartenance sociale de celui ou celle qui le porte.
L’exposition Kimono doit presque tout à « LA » maison Matsuzakaya, « LA » signature du kimono de qualité, une quasi institution au Japon : dès 1611, elle propose ses catalogues – merveilleux croquis présentés dans les vitrines – à une vaste population d’aristocrates, marchands, guerriers ; aujourd’hui, elle fournit encore ceux qui souhaitent perpétuer les traditions à l’occasion de cérémonies publiques ou privées, mariages en tête. Et les dirigeants de Matsuzakaya ont progressivement construit une collection exceptionnelle de pièces qui sortent pour la première fois du Japon pour le bénéfice de cette exposition. Vêtements dont on nous dit qu’ils sont si fragiles qu’ils seront remplacés par d’autres en avril.
C’est donc un festival de couleurs et d’ornements qui transforment ces vêtements en œuvres d’art. Et par-delà l’esthétique, nous entamons notre initiation à un univers : prendre tous ces habits pour des kimonos serait trop simple. Kimono est un terme générique, grandement simplificateur, qui masque tout ce qui différencie le « furisode » du « hitoe », ou encore du « kosode » que l’on ne saurait confondre avec le « osode ». Habits d’hiver ou d’été, habits de riches aristocrates ou de nouveaux riches, ils se distinguent aussi par leurs techniques de fabrication. Là aussi, le musée nous prodigue de multiples explications dont on retient au moins que cet habit-là avait bien l’intention de faire, sinon le moine, au moins le bourgeois.
Quant à savoir s’il faisait le « bonheur des dames » comme le sous-titre l’exposition, ça reste à démontrer. Non content d’entraver les mouvements, le kimono ne prenait tout son sens que ceinturé par un « obi » : 4 à 5 mètres de long tout de même, ce qui suppose un art du nœud plutôt sophistiqué, dont l’on nous dit qu’il constitue la véritable signature de l’habit.
De façon presque plus prosaïque, le musée Guimet rend aussi hommage, dans la toute dernière salle de l’exposition, aux grands noms de la couture contemporaine qui se sont appropriés le genre japonisant en donnant leur version du kimono – splendeurs signées Paul Poiret, John Galliano…– mais aussi aux créateurs japonais qui ont modernisé les traditions – Kenzo, Yamamoto, Miyake… Et l’on se prend à s’interroger sur ce qui, dans nos vêtements d’aujourd’hui, saurait avec tant de ténacité traverser les siècles, grâce à un grand faiseur soucieux de transmettre une tradition et une culture.
Marie J
« Kimono, au bonheur des dames », musée national des arts asiatiques Guimet. Jusqu’au 22 mai.
Légende de la photo d’ouverture: Callot Sœurs Maison de couture (1895/1937)/ Photo: Les Arts Décoratifs, Paris @Jean Tholance
Pour information, le site du musée renvoie vers la billetterie Fnac si l’on souhaite réserver : 1/ le billet ne précise pas le créneau horaire, donc il n’épargne que la queue au guichet ; 2/ il est plus cher qu’au guichet et l’est encore plus (+1,50€) lorsque l’on choisit la version imprimable à domicile. Un service à valeur ajoutée contestable.
Une belle expo qui ne lève pas le voile sur le mystère de la femme japonaise. On aimerait voir bouger ces kimonos. Au delà des informations plutôt complètes, on voit surtout des tissus magnifiques!