La résurrection passe entre autres choses par la capacité à approcher soi-même une fourchette à la bouche. Afin qu’il ne tombe pas toutes les deux minutes, l’ustensile est maintenu au poignet par une sangle. La plupart des « tétras » sont au même niveau. Et la blague la plus courante que l’on lance durant le repas c’est « passe-moi le sel« . Dans les salles obscures depuis peu, « Patients » nous rappelle ce luxe auquel on ne fait plus attention: aller où bon nous semble, nous laver quand ça nous chante, aller aux toilettes sans se faire aider.
Grand Corps Malade et Mehdi Idir ont eu paraît-il du mal à trouver un financement pour leur film car la thématique du handicap n’est pas vendeuse et le casting retenu ne comportait pas de vedettes au contraire de « Intouchables » avec François Cluzet et Omar Sy.
Sans jouer sur les mots bien sûr s’agissant d’un monde d’accidentés, le projet s’annonçait casse-gueule. L’ambition des réalisateurs consistait à maîtriser le registre émotionnel. Pari réussi au point que « Patients » tient parfaitement sur un fil bordant à la fois le monde de la fiction et du documentaire.
L’histoire nous emmène d’emblée au chevet de Ben, immobilisé à la suite d’une mauvaise chute dans une piscine insuffisamment profonde. Le scénario est calqué sur la vie de Fabien Marsaud alias Grand Corps Malade. Comme lui il est « tétraplégique incomplet » ce qui semble signifier qu’il dispose d’une marge (ténue) de rétablissement. Et le film est la narration de cette récupération dans un établissement adapté aux inadaptés. Dans le rôle principal Pablo Pauly est plus que convaincant, la finesse de son jeu remarquable mais c’est aussi le cas de tous les autres personnages y compris celui de la mère, interprétée par la trop rare Florence Muller.
La caméra se substitue au regard de Ben dès le départ. Ce qui fait que nous regardons le plafond comme lui. Que nous supportons avec lui -ce qui est une façon de parler- le comportement du soignant qui parle trop fort comme si Ben était sourd. Que nous nous affligeons comme lui de se voir imposer, pour tuer le temps, le visionnage d’une chaîne de télé-achat vantant les mérites d’une centrale à vapeur ou d’une ceinture électrique destinée à raffermir les fessiers.
Le film nous parle surtout de toute cette intimité détruite puisque la satisfaction des besoins naturels ne peut se faire sans aide et évoque également ces amitiés de circonstance qui se nouent entre toutes ces vies broyées, ces « patients » littéralement rétamés. Il nous raconte ces petites victoires de reconquête de soi-même. Lesquelles s’additionnent jour après jour comme celle qui fait que l’on a enfin accès au fauteuil électrique et la mobilité qui en découle, celle du jour où l’on retrouve la station debout.
La seule chose que l’on ne peut que deviner, sauf à avoir connu une hospitalisation de longue durée, c’est l’extrême lenteur du temps qui passe. Le centre est un « sitcom » ou chacun tient le rôle de sa vie, y compris le personnel soignant imbriqué jusqu’au tutoiement de rigueur, jusqu’au nécessaire corps à corps. Parmi les personnages, il y a Steeve, plus atteint que Ben lequel par ailleurs se pose à haute voix une question qui nous était venue progressivement à l’esprit. Au milieu de tous les Rachid et Karim du centre il se demande où sont les bourgeois, où sont les « Pierre-François », mais le film n’y répond pas.
Grand Corps Malade et Mehdi Idir ont bien emballé leur affaire. L’émotion tout comme l’humour nous sont perfusés au goutte à goutte sur nos fauteuils de bien-portants et ce curieux mélange médicamenteux nous provoque, bien après la sortie, ses effets-retard. Comme celui d’évaluer le prix inestimable d’aller et venir au gré de nos envies.
PHB
Cher Philippe,
j’aime votre bienveillance. J’aimerais qu’elle soit contagieuse…