Nous sommes dans les années 70 dans la banlieue de Londres, classe moyenne/moyenne/sup. Ce soir Beverly reçoit avec son mari Peter, qui ne partage pas son excitation à l’approche de cet exercice de courtoisie. Un apéritif entre voisins arrosé, de plus en plus arrosé. Ambiance « vintage » et vide des conversations. Le décor remplace le fond. La reconstitution de l’époque -avec le mobilier, les costumes (Ah la salopette d’Angela !)- est très sophistiquée et poussée dans ses moindres détails avec l’inoubliable présentoir à cigarettes -un accessoire malheureusement disparu et relégué de nos jours au rang de curiosité-, qui atteint ici le sommet du burlesque.
Avec « Abigail’s Party » on pratique donc l’art de parler creux avec talent, du grand art ! On boit beaucoup, des cocktails, de la bière. On mange un peu, on fume, on danse sur les airs de Demis Roussos, Earth Wind and Fire, Elvis Presley. Et petit à petit, bien sûr l’alcool va faire craquer les inhibitions et le vernis de la représentation sociale, pour notre plus grand bonheur.
Hors champ, les bruits et les airs de musique de la fête voisine organisée par Abigail la fille de Suzanne viennent donner du relief, celui du monde extérieur et de l’adolescence perdue, au sentiment de vide et d’ennui profond que vivent nos cinq protagonistes.
Lara Suyeux, extravagante Beverly, donne tout. Elle pratique la surabondance des mots pour cacher son vide intérieur, experte en logorrhée verbale qui dissimule sa solitude, le mal être de son couple, les frustrations de l’époque. Alexie Ribes alias Angela est la jeune écervelée bimbo parfaite. Séverine Vincent (Suzanne) et Dimitri Rataud (Peter) jouent également très juste dans des registres plus sobres. Ce sont eux qui vont amener la brèche dans la façade des faux semblants.
Ce n’est pas le moindre mérite de cette soirée que de faire mieux connaître en France les talents de dramaturge de l’auteur Mike Leigh par ailleurs réalisateur de cinéma consacré (Palme d’or à Cannes pour Secrets et mensonges -1996). « Abigail’s Party » est une pièce de théâtre culte en Angleterre où elle n’a pas cessé d’être jouée depuis sa création en 1977.
Le travail de Gérald Sibleyras participe à la réussite de l’adaptation. La mise en scène de Thierry Harcourt est enlevée et efficace et nous conduit petit a petit , tout en glissements, vers la chute finale. C’est cruel, c’est tendre, c’est sans concessions et surtout très drôle. Et c’est ça qu’on aime.
Marie-Pierre Sensey
« Abigail’s Party »
De Mike Leigh /Mise en scène Thierry Harcourt
Théâtre de poche – Montparnasse
Depuis le 31 janvier
Mardi au samedi 21h, dimanche 15h
Je confirme !
C’est du Bacri-Jaoui qui aurait du fond… et ça donne envie, à défaut de découvrir la dizaine de pièces qu’il a écrite, de voir ou revoir les films de Mike Leigh… qui reste sur un chef-d’oeuvre, « Mr Turner »… Peut-être le plus beau biopic sur un peintre…
Truffaut disait qu’il n’y avait pas de cinéma anglais. Il avait, une fois de plus, tort : Ken Loach, Stephen Frears et Mike Leigh, ça vaut cent cinéastes français post-Nouvelle Vague…