Habillant Mickey en muezzin, en juif pratiquant, en pape ou en Bouddha, Bernard Rancillac traduit par la peinture les affres d’un nouveau siècle. En 1977 déjà, il avait représenté Donald et Dingo en généraux-dictateurs chiliens avec dans l’angle du bas, un Jimmy Carter travesti en Popeye goguenard. Celui qui fait l’objet actuellement d’une vaste rétrospective organisée par le musée de la Poste place du Colonel Fabien, avait systématisé un mélange des genres pour faire ressortir la violence de l’actualité.
Pour l’année de ses quatre-vingt-six ans, le voilà assis dans ce vaste espace ou se réunit le Parti Communiste depuis 1971. On l’a installé derrière une petite table et une hôtesse zélée veille à lui remplir son verre de vin. Il promène un regard vaguement amusé, gentiment moqueur, sur cette effervescence dont il fait l’objet. Toute une vie à peindre comme il l’entendait en veillant à s’écarter des conventions l’a amené ici, tout à la fois au centre et à la périphérie de son travail. Sur les vastes murs du bâtiment Niemeyer ses œuvres se déploient à l’aise. Leur saveur révolutionnaire, leur propos souvent douloureux, la vulgarité violente d’un monde qu’elles reflètent, n’en sont que plus frappantes. Elles sont dénonciatrices, prophétiques, narquoises et au final très efficaces.
On l’a décrit comme un peintre de l’actualité, des actualités, des tendances. Il explique dans un interview qui figure au catalogue que l’on ne voit plus en Vélasquez qu’un auteur d’œuvres artistiques alors que le peintre espagnol dépeignait lui aussi des histoires. Sa peinture traite de politique par « obligation » soulignant que tous les matins « le monde lui tombe dessus« . Les dictatures, la guerre, l’oppression carcérale à travers sa remarquable série sur Ulrike Meinhof (Fraction Armée Rouge) nous interpellent en ce qu’elles nous démontrent que rien n’appartient au passé, que les raisons de s’inquiéter nous suivent, nous accompagnent, nous devancent.
En 2007 il signe une large toile, féroce par la façon caricaturale qu’il choisit pour représenter entre autres Hitler, Oussama Ben Laden, Saddam Hussein, Berlusconi ou encore Staline. Entourant une fleur psychédélique les voilà comme au « Bain turc » de Ingres. Ils y sont transposés en femmes nues, lascives et décadentes. Ce faisant Rancillac les fige dans une sorte d’enfer, les privant de leur masculinité dominatrice, les reléguant en objets sexuels écœurants.
Anti-conformiste, Bernard Rancillac a ainsi joué sur les contrastes bien avant d’autres artistes. Cette toile réalisée où il figure des soldats torturant un prisonnier avec au-dessus des éléments publicitaires de lingerie féminine peut-être lue dans les deux sens et nous démontre que nous humains procédons, par réflexe de survie psychologique sans doute, à de fréquents changements de focale.
Certaines de ses œuvres sont plus reposantes -et plaisantes- en ce qu’elles empruntent aux codes esthétiques du pop-art. D’autres se veulent sans doute dérangeantes comme cette « Première vision du monde » qui fait écho à « L’origine du monde » de Courbet. Il faut compter aussi avec d’excellents portraits comme celui de Malcom X, d’Allen Ginsberg, d’Alberto Giacometti (particulièrement sensible) ou de Daniel Cohn Bendit, ce dernier étant réalisé d’après la célèbre photo de Gilles Caron. Mais on préférera tout ce travail qui nous alerte sur les vagues autoritaires qui ravagent régulièrement le monde en un sinistre mouvement de flux et reflux. L’actualité immédiate ne compte pas pour rien dans notre appréciation de l’exposition.
PHB
Rétrospective Rancillac. Jusqu’au 7 juin 2017. Espace Niemeyer, place du Colonel Fabien
NB: Bernard Rancillac a bien voulu dédicacer son album à Guillaume Apollinaire, fondateur des Soirées de Paris. Après s’être enquit de la date de sa disparition et prévenu qu’écrire des dédicaces « intelligentes » relevait du cauchemar, Bernard Rancillac a finalement écrit: « A Guillaume Apollinaire (mort) qui n’est plus à l’hôpital. Rancillac, pas mort encore ».
Très bel article