Une bretelle d’autoroute et des voitures qui bouchonnent. Chaque conducteur écoute sa propre musique. Soudain une automobiliste sort de sa berline et se met à chanter. Une à une les portes des autres voitures s’ouvrent et tout le monde embraye sur le même thème dans une chorégraphie mécanisée. C’est terrible. À travers leurs sourires contraints, les acteurs donnent l’impression de souffrir. Vous allez adorer « La La Land » nous intimait l’affiche. En fait pas plus d’un spectateur sur deux n’en sort convaincu selon des impressions recueillies à la volée alors que le générique apparaît (enfin).
Ce n’est certes pas la faute de Emma Stone qui interprète Mia. Pas celle non plus de Ryan Gosling qui joue Sebastian. Non, comme son nom l’indique d’ailleurs, « La La Land » est artificiel mais plus que tout il résonne faux. Au point que l’on n’ose imaginer ce que cela pourrait donner en version française. C’est un peu le problème d’ailleurs. L’on peut très facilement transposer les scènes non chantées dans une de ces séries américaines affreusement doublées où les filles échangent des répliques cousues main avec un lourd dosage d’amitiés indéfectibles, de rivalités exacerbées et de potins assassins.
Damien Chazelle a écrit l’intrigue quand il avait vingt-cinq ans ceci expliquant peut-être cela. Une jeune actrice en devenir, sur une bretelle d’autoroute donc, brandit un doigt d’honneur à un automobiliste qui vient de la klaxonner. Les hasards de la vie vont faire en sorte qu’ils se retrouvent plus tard. Lui est passionné de jazz mais doit s’astreindre à des boulots frustrants. Elle enchaîne les auditions décevantes. Il joue des bluettes dans les bars en rêvant de tenir un club: Damien Chazelle voulait faire un film « sur deux êtres animés par des rêves quasi irréalisables qui les poussent l’un vers l’autre, mais qui les divisent aussi« .
Tout n’est pas complètement perdu cependant. Les deux protagonistes y mettent (bravement) du leur. Il y a aussi quelques séances de vrai jazz réussies. Heureusement parce que l’ennui tient le reste de ses mains de fer. Le réalisateur a voulu faire une comédie musicale. Mais en tout point il n’a fait qu’imiter le genre dans un style de bonheur forcé. En eût-il fait une parodie que cela aurait pu passer, malheureusement il a pris l’affaire très au sérieux. En conséquence, chaque personnage mis en scène donne l’impression de faire le job comme si derrière, quelqu’un lui tordait douloureusement le bras.
Finalement le plus réussi dans ce film, c’est la promo. Le fisc français gagnerait à s’en inspirer pour faire payer les contribuables indélicats. Ils adoreraient se mettre en règle et arriveraient au guichet de l’hôtel des impôts en chantant et en dansant.
Compte tenu de l’engouement qui prévaut, ne pas aller voir « La La Land » reviendrait à prendre un risque sociétal. Bouder après projection toute cette joie distribuée au pistolet à peinture à partir d’un substrat à la guimauve foraine risque en outre de conforter nombre de grincheux dans une position de marginal infréquentable.
Éreinter « La la Land » de la sorte peut paradoxalement conduire des innocents à y aller. Et ils n’auront peut-être pas tort tant les avis sont variés. On peut aussi sécher le cours de bonheur et dire qu’on a « complètement oublié d’y aller » avec une mine défaite par la contrition ou encore mentir en prétendant que l’on est décidé à s’y rendre « sans faute », histoire de ne pas se fâcher avec la moitié de ses amis. En cette période politique clivante, dans ce climat tendu sur fond de job présumé fictif, ce serait bête de perdre l’amour de ses proches pour une fiction enregistrée comme telle.
PHB
Je suis morte de rire en lisant ta chronique!! Je partage tout à fait ton avis.. le sujet est d’une banalité affligeante… et ce « pistolet à peinture » frôle presque le ridicule..
Je ne savais pas ce matin que j’allais boire du petit lait…
J’ai vu le film avec la « classe » critique, la « volaille qui fait l’opinion » comme dirait Souchon… Je n’ai toujours pas compris les raisons esthétiques, théoriques, sociologiques, etc… qui poussaient mes « camarades » à un tel enthousiasme… j’avais déjà eu le même problème avec « Toni Erdmann »…
On appelle ça la « déconnection du réel »… Depuis, je ne rencontre que des Philippe Bonnet… Tous croyant être seuls à penser ce qu’ils pensent… et finalement majoritaires dans leur déception…
Pensée idiote : je me demande si Macron ne serait-il pas le « la la land » de la politique ?
Ce n’est pas le thème qui sonne faux, mais le film. Rappelons-nous le récent film des frères Cohen « Hail, Ceasar! », véridique parodie du Hollywood des années 50, avec notamment ses séquences comédies constituant un véritable hommage du genre.
Par ailleurs j’ai été très étonnée par la séquence finale du film, qui rappelle étrangement celle du film de Woody Allen « Magic in the moonlight », devant un planétarium. Mais la poésie de Woody Allen est totalement absente du film de Chazelle, ce Français né aux States qui n’a pas de « culture hollywoodienne »…
Toujours aussi bien écrit, cher Philippe !
Edwige
Bof bof land………. ça fait du bien de voir qu’on n’est pas tout seul à se demander ce qu’on peut bien trouver à ce film……………….