Quoi de commun entre un poète chilien, membre du parti communiste et la femme du Président des Etats Unis ? Juste Pablo Larraín, cinéaste qui a consacré ses deux derniers films à Pablo Neruda et à Jackie Kennedy. Deux films, qui ne sont pas des biographies, ni des ‘biopics’ encore moins des hagiographies, mais qui se consacrent à quelques journées particulières de leurs vies. Journées dans lesquelles Larraín pénètre pour construire son propre récit. La sortie des deux films, magnifiques et différents, à un mois d’écart, rapproche ces deux personnages qui ne se sont sans doute jamais rencontrés, sinon leurs fantômes à Paris en ce début d’année 2017, et nous incite non pas à les comparer mais à chercher chez l’un et l’autre ce qui a pu inspirer le cinéaste.
La rencontre entre Neruda (1904-1973) et Larraín est évidente, tant ce dernier s’est intéressé à l’histoire de son pays, comme en témoigne sa trilogie sur la dictature de Pinochet (Tony Manero, Santiago 73-Post Mortem, et No). Le poète, Prix Nobel de littérature en 1971, héros international, ami de Salvador Allende, n’a pas attendu Pinochet pour s’attirer des ennuis. Déjà en 1948, sous la dictature de Videla, alors qu’il est sénateur, il doit s’enfuir avec sa femme, la peintre Delia Del Carril, pour éviter la prison. De cet épisode, Pablo Larraín tire un road movie doublé d’un polar, fantasque et facétieux dans lequel il fait apparaître Oscar Peluchonneau, détective opiniâtre et mélancolique, (Gael Garcia Bernal) avec qui Neruda joue au chat et la souris. Luis Gnecco prête au poète ses rondeurs et ses airs de matou madré et lui accorde toute la sensualité et l’humour d’un homme non pas aux abois mais faisant de ses mésaventures un spectacle. Qui dit spectacle dit spectateur et il sait parfaitement mettre à contribution ses admirateurs anonymes ou célèbres, comme Picasso à Paris, mais dit aussi auteur et c’est souvent lui qui écrit le scénario. Filmé dans un Chili pluvieux et déprimé, entre planques et bordels, le film prend une dimension épique dans les dernières scènes tournées dans la Cordillère enneigée où la poursuite entre les deux hommes atteint le grandiose des plus grands westerns.
Jackie, évoque quatre journées fondatrices dans la vie de Jacqueline Bouvier Kennedy (1929-1994), celle de l’attentat à Dallas, le 22 novembre 1963 et les trois jours qui suivent où elle doit composer entre deuil immédiat et postérité. Cette Jackie a la silhouette frêle de Natalie Portman, de bout en bout remarquable. Alors que Neruda est constamment entouré, elle est désespérément seule. Elle semble flotter dans des espaces immenses, intérieurs ou extérieurs, comme dans ses tailleurs Chanel. Diction lente, démarche saccadée, elle paraît avancer en automate alors qu’elle contrôle tout. Ses seuls contacts physiques sont avec ses enfants et son amie/gouvernante. Le seul dont elle semble prendre l’avis est l’omniprésent Bobby Kennedy (Peter Sarsgaard) au comportement un peu trouble (amoureux ?). Ils sont d’accord sur un point, ils doivent construire la fin de l’histoire de John Kennedy qui n’a pas eu le temps d’achever son travail. En avant pour la légende, dont le premier acte s’écrit dans une mise en scène très élaborée des funérailles. Début de légende qui sera aussi celle de Jackie.
On se demande si ce qui intéresse surtout Pablo Larraín n’est pas la façon dont ses héros savent se mettre en scène et écrire leur propre mythe. Ils ont tous deux un maîtrise parfaite de ce qui doit rester. A ce sujet, l’entrevue entre Jackie et le journaliste du Times, fasciné, est un petit chef d’œuvre. Elle fixe les règles dés le départ « je relirai tout » et conclut régulièrement « vous n’écrirez pas cela, ça n’a pas été dit ! ». Elle se dévoile pourtant pas mal (en off) et admet qu’on ne la connaît pas du tout « je lis beaucoup plus qu’on ne le croie ». Elle se livre surtout au cours d’une longue conversation, secrète forcément, avec un prêtre incarné par John Hurt dont la disparition récente donne une autre dimension. De fait, la légende de Jackie, sera celle d’une icône, belle, élégante et quasiment muette, essentiellement la femme de, et elle sera avant tout un prénom. Pas vraiment une icône féministe, avait elle peur de passer pour un bas bleu ? Tandis que Neruda, parle beaucoup devant son public et surtout écrit. Durant sa cavale il compose quelques uns des poèmes du recueil culte Canto General, et les fait circuler à la barbe des autorités.
Deux destins, deux fortes personnalités, deux films. L’un plein d’humour et de fantaisie, l’autre de détresse et de rigueur. Étrangement, si la politique est omniprésente, lui est un militant infatigable et elle est plongée dedans par son mariage, ce n’est pas vraiment elle qui façonne ses personnages mais c’est l’inverse. Lui est communiste, elle férocement anti, mais ça n’intéresse pas trop Larraín. Le contexte sert surtout son projet cinématographique construit autour de l’aura d’un homme et d’une femme qui entre fiction et réalité ont fait leur choix et l’ont imposé. L’histoire le confirme. Et le 7e art prend toutes les libertés de la création et propose une nouvelle équation : un poète + une icône = deux bijoux de cinéma.
Marie-Françoise Laborde
J’ajouterai personnellement que NERUDA est un chef d’œuvre baroque, alors que JACKIE est un beau film plus classique. Et pour cause, le premier est habité de l’intérieur, alors que le second se tient volontairement à distance. Bien qu’ils soient tous deux fort intelligents, on peut à peine comparer les deux films, qui sortent pratiquement en même temps par les hasards de la programmation.
Il me semble qu’après avoir vu NERUDA on connait très bien le grand poète (et l’âme chilienne), tandis que JACKIE garde son mystère, et que l’on n’en connait pas plus sur elle après avoir vu le film.
En tout cas, réaliser des films aussi différents est la marque des grands, voire des très grands !!!!!!!!!!!