Bien sûr, il y a le tramway. Le tram 28. Vous n’y échapperez pas. Ce serait trop bête de ne pas prendre ce magique et mythique tramway qui serpente dans les vieux quartiers avec une belle insolence et semble pénétrer à l’intérieur même des maisons particulières. Peu importe que ce modèle n’ait pas évolué puis les années 1930, au contraire ; l’ « eléctrico » reste le seul moyen de transport en commun capable de circuler dans les ruelles étroites de l’Alfama. Pour rien au monde, les Lisboètes ne se résigneraient à leur disparition. La ville en perdrait une partie de son charme.
Avec une forte personnalité qu’il faut bien qualifier de poétique, Lisbonne séduit rapidement le voyageur, même lors d’une visite impromptue. Il y règne un parfum de la vieille Europe que les autres capitales ont souvent perdu. Elle ne se livre pas pour autant. Elle demande au voyageur un minimum de curiosité, de désir si l’on veut profiter de tous ses attraits. On sait avec Cocteau que quand les mystères veulent se cacher, ils se mettent souvent en pleine lumière… C’est ainsi qu’au cœur de la ville, au Rossio, des milliers de touristes passent chaque jour praza Dom Pedro IV, devant les vitrines de l’une des plus anciennes et séduisantes boutiques sans y prêter attention. Il s’agit de la chapellerie Azevedo créée en1886 et qui a gardé depuis 130 ans les mêmes armoires de rangement, les mêmes étals de bois, les mêmes présentoirs. Juste à côté de l’un de ces petits bars où l’on déguste la ginjinha, la typique liqueur de cerise que l’on boit debout au zinc comme on prend un petit noir à Paris.
Le chapelier reçoit d’abord la clientèle locale. C’est ici que le grand écrivain Fernando Pessoa, le chantre de l’âme lisboète, le poète de l’intranquillité, choisissait ses couvre-chefs. Le même modèle, d’un classicisme épuré, est toujours en vente, un feutre raffiné, aux bords larges, gris ou marron, entouré d’un gros grain et non d’une languette de cuir.
On croisera le personnage de Pessoa dans les principaux quartiers de Lisbonne et son visage allongé, au regard un peu triste (la saudade !) est représenté un peu partout, presque comme un objet publicitaire.
Pour le centième anniversaire de sa naissance (1888), une statue de bronze à son effigie, grandeur nature, a d’ailleurs été installée devant le bar A Brasileira, où Pessoa avait ses habitudes, dans le quartier du Chiado. Petite concession au tourisme : le sculpteur a prévu dans son œuvre une chaise, permettant à tout un chacun de venir s’asseoir à côté de la statue. Une aubaine pour les vacanciers qui s’y font systématiquement photographier, sans toujours bien savoir quel est le personnage représenté.
A un jet de pierre de ce bar emblématique, dans la rua Garrett, un édifice aux murs recouverts d’azulejos bleus est assez peu signalé : il abrite pourtant la librairie considérée comme historiquement la première d’Europe, toujours en activité. C’est d’ailleurs l’une des plus importantes du pays. La Livraria Bertrand a été créé par deux français en 1732, d’abord rua Loreto, à quelques centaines de mètres de l’emplacement actuel, 72 rua Garrett. A l’intérieur, une enfilade de salles et de rayonnages qui semblent défier le temps, où l’on peut fureter tout à loisir.
On sera d’ailleurs surpris par le nombre de librairies, anciennes ou modernes que recèle la ville. La plus étonnante est sans doute la librairie Ler Devagar (« Lire lentement ») rua Rodrigues Faria : un immense hangar de plusieurs étages bourré jusqu’au plafond de milliers d’ouvrages sur les domaines les plus divers, un endroit ou l’on peut trainer, se retrouver, boire un verre, dans le quartier branché des docs, « LX Factory » à l’ombre de l’immense pont du 25 avril. Il faut y aller, ne serait-ce que pour le coup d’œil, et aussi pour les nombreux ateliers de créateurs et artistes qui ont investi ce nouveau quartier d’une Lisbonne en perpétuel devenir.
Gérard Goutierre
Humm, Lisboa, quelque soit la porte que l’on pousse, nous partageons un instant d’éternité avec la capitale.
Je me souviens que c’est dans cette boutique où j’ai acheté ma canne, bien belle la canne.
c’est peut être cette saudade, cette forme de retrait du monde qui laisse dans quelques endroits de Lisbonne une place pour la poésie de la lenteur et de la nostalgie. Allons y rêver.