De la privation de dessert à la décapitation, l’homme pratique la punition. Si l’on excepte les amateurs consentants qui la pratiquent par jeu, la sanction est un phénomène humain multi-séculaire sur laquelle le médecin, anthropologue et professeur de sciences sociales Didier Fassin, vient de se pencher à travers son livre « Punir, une passion contemporaine ». Un ouvrage qui vient de paraître au Seuil. Un travail d’entomologiste dont l’approche scientifique est, à bien des égards, vertigineuse.
Passé son préalable, l’auteur explique que le verbe punir contient étymologiquement au moins deux avatars puisque le le mot latin punire signifie tout à la fois « venger » et « châtier ». Didier Fassin est notamment allé observer ce qui se passait dans les tribunaux et les prisons afin de comprendre qui l’on punit et pourquoi, mais il s’est aussi attaché à cerner les punitions administrées hors de tout cadre légal. Ce faisant il laisse filtrer à juste titre son sentiment que l’on punit trop et que non seulement trop de gens vont en prison trop longtemps, mais que les brimades ne sont pas les mêmes selon que l’on est instruit ou non, riche ou pas, noir ou blanc. On pouvait s’en douter à la simple lecture ou audition de l’actualité mais sa démonstration est malheureusement éloquente.
Au contraire de la réparation, formule-t-il en substance, la punition contient une notion d’assouvissement qui consiste à faire souffrir celui qui a fait souffrir. « La question écrit-il, se pose de comprendre comment et peut-être pourquoi on est passé, dans les sociétés occidentales d’une logique de la réparation à une logique de la punition, d’une économie affective de la dette à une économie morale du châtiment« . L’expiation du crime explique-t-il, consistait selon les périodes à une « restitution du dommage causé » par opposition à une souffrance imposée qu’il détaille par ailleurs à travers moult exemples explicites. Au point qu’avant même la sanction pénale, figure la « mortification » de l’arrestation, l’humiliation par la fouille devant des proches, les mauvais traitements, le tout pouvant aggraver la situation de l’individu concerné en l’amenant possiblement au délit d’outrage aux forces de police. Un paragraphe qui n’est pas sans évoquer Dominique Strauss Kahn sortant menotté d’un commissariat en 2011 après l’affaire du Sofitel où les autorités l’avait contraint à un « perpetrator walk« , sorte d’exhibition malsaine consistant objectivement à montrer un présumé innocent en présumé coupable.
A travers son livre malheureusement pertinent et bien souvent magistral, Didier Fassin procède à « rebours du populisme pénal triomphant« , avec des démonstrations limpides assorties d’exemples la plupart consternants. A lire son livre il nous vient en tête toutes les dérives pénales que nous avons à connaître allant du petit dealer entôlé à l’ex-ministre sinon absoute au moins dispensée de peine. Il nous rappelle la soif de vengeance qui a conduit les Français à tondre après-guerre, les femmes supposées avoir couché avec l’occupant. Il nous invite par ricochet à considérer les crucifixions expresses qui se propagent sur les réseaux sociaux, qu’elles soit d’ordre privatif à destination d’un conjoint trompé via la diffusion de sex-tapes ou à motivation plus large dès lors qu’une personnalité est dénoncée avant même que soit établie son innocence ou sa culpabilité.
Cette « passion contemporaine » de la lapidation préalable ou du châtiment légalement organisé a quelque chose d’effrayant. Les sociétés modernes dit-il encore (en passant outre les « crimes d’honneur » qui prévalent par ailleurs) et singulièrement en France, sont de plus en « répressives, leur lois plus sévères, leurs juges plus inflexibles« , sans rapport pourtant avec « l’évolution de la délinquance et de la criminalité« . Toute personne sait ou devrait savoir qu’en cas de pépin personnel il ne faut pas lésiner sur le choix de son avocat. D’une certaine manière et sans l’écrire, c’est la recommandation de l’auteur. Le lire serait déjà un pas dans la bonne direction.
PHB
« Punir, une passion contemporaine ». Didier Fassin. Seuil, 17 euros.
Cher Philippe,
votre démonstration serait plus convaincante, si vous ne preniez pas l’exemple de DSK…
Car pré-condamner les puissants, surtout ceux qui ont évité déjà quelques affaires que les autres n’auraient pas pu éviter, c’est la seule façon de les condamner… un peu…
Quand on connait bien certains cas, on se dit que les bracelets et le costume défraîchi, et la nuit de garde à vue, c’est la seule punition/ humiliation qu’on pourra leur infliger…
Hier soir, en allant aux 40 ans de Beaubourg, je suis tombé sur Macron et Madame, qui avaient le droit à une visite privée avec conservateurs et cie de l’expo Cy Twombly (magnifique)…
Ce « petit » déni d’égalité entre lui et nous, qui ne se justifie en rien – mais peut-être que pour certains « antipopulaires » c’est normal qu’il reçoive un traitement de faveur eu égard à ces « hautes fonctions » passées ou futures- en implique de plus gros.
Il ne sera bien sûr jamais poursuivi pour avoir accaparé des haut fonctionnaires courtisans ou craintifs un jour de gratuité de Beaubourg… Mais, moi, je le punis préventivement de mon mépris citoyen pour accepter comme un droit, ou un dû, d’être traité autrement que les autres…
Bonjour les deux Philippe,
s’aplatir devant les « célébrités » ou « personnalités » et envoyer le commun des mortels en prison sont deux passions bien françaises en effet. Notre problème des prisons archi pleines est une honte mondiale et ne résout rien, on ne le dira jamais assez.
Merci de le rappeler!
Et oui on est en pleine actualité de ce que vous dites Lise. Combien de voleurs de poule en prison quand aux prochaines élections on risque d’avoir en lisse au second tour quelqu’un qui a détourné 300 000 Euros, l’autre prés d’un million (mais il a demandé pardon à la France et clamé son amour à sa femme!). Les incursions culturelles de Macron font un peu pale figure à côté dans cette république bananière et profondément machiste. DSK/Fillon: vive les femmes!