Lorsqu’il démissionne de son premier job de journaliste, au Jersey Shore Herald, le jeune Hunter S.Thompson écrit qu’il le fait sans aucun regret. Et il précise: « bien que votre journal soit correct et taillé sur mesure pour les marins et les putes sans cervelle qui composent son fidèle lectorat« . Journaliste et écrivain hors normes, souvent adulé, très mal imité par ses épigones, Hunter S.Thompson vient de faire l’objet d’une biographie impeccable en bande dessinée aux éditions Nada.
Cela faisait bien longtemps que l’on avait pas vu une bio « graphique » aussi bien faite. Les deux auteurs, Will Bingley et Anthony Hope-Smith, ont su cerner avec intelligence un personnage qui ne se laisse pas attraper aussi facilement, que ce soit par la retenue délibérée des textes ou l’inspiration travaillée des cadrages.
Avant de l’aborder, il faut savoir entre autres choses que Hunter S.Thompson est né à la fin des années trente dans le Kentucky. Quand il sort précocement d’une prison pour entrer dans l’armée américaine, il est encore jeune. Il va faire dix-huit mois à la base aérienne d’Eglin. Nous sommes en 1956 et il se fait déjà la main dans le journal de la base. Pour lui c’est une révélation: il fera journaliste. En tout cas il écrira. Sa démission plus tard du Jersey Shore Herald ne sera pas la dernière. Son tempérament fait qu’en effet on ne le garde jamais longtemps.
Approcher Hunter S.Thompson nécessite surtout de connaître le qualificatif qui lui a été attribué pour l’éternité par un rédacteur en chef du Boston Globe, Bill Cardoso: « gonzo« . Par ce terme, étendu plus tard à « gonzo-journalisme » il faut comprendre que celui qui allait devenir l’auteur du fameux livre « Las Vegas parano » pratique une écriture énervée, cinglante, ravagée et subjective. Sous l’empire des stupéfiants, à cran, il fait montre d’une lucidité à part, originale, percutante et la plupart du temps saignante. Pour Hunter en substance, l’objectivité est une mauvaise chose qui ne fait que respecter les faits en cachant la vérité. Tout un credo.
Il aime notamment Scott Fitzgerald et Steinbeck, des auteurs qui ont su révéler à leur façon la société américaine et ses névroses. A qui veut bien l’entendre en haut de l’échelle des richesses il dit: « vos réussites, telles des briques, viennent construire les murs de votre tombeau« .
Son œuvre trouve à s’épanouir dans l’hyperpuissance américaine et ses démolitions subséquentes, centrales ou collatérales, qui vont de l’assassinat de Kennedy à la guerre du Vietnam en passant par les émeutes de Los Angeles, la beat generation, la répression policière, les drogues, les Hells Angels… Des sujets qui font claquer comme une machine gun les touches de ses machines à écrire dont certaines passent à l’occasion par la fenêtre.
Et ce livre qui vient de paraître aux éditions Nada, agrémenté d’une pertinente préface de son ancien éditeur Alan Rinzler, dresse un très bon portrait de cet homme qui a fini par se suicider en se tirant une balle dans la tête en 2005 à l’âge de 67 ans. Le graphisme soigné le montre à ses débuts et aussi quand il est candidat improbable à l’élection du shérif du comté de Pitkin avec un programme qui sent la poudre.
Ce qui allège ce récit en images c’est aussi l’humour de cet anticonformiste dégénéré qui caractérise sa vie. Pour lui « le fait d’écrire quand on est écrivain« , c’est comme une « boucle perpétuelle« , c’est « comme la baise« , il n’y a « que les amateurs qui prennent leur pied », les « vieilles putes, elles, ne gloussent plus« . Cette biographie sélectionne pour notre plaisir les petits aphorismes du sieur Thompson lequel disait aussi à propos de l’éviction de Richard Nixon: « qu’aucune bataille ne vaut davantage que les dégâts qu’elle occasionne« . Cela fait penser à truc très actuel.
Deux possibilités s’offrent à ceux qui ne connaissent pas Thompson. Lire par exemple son « Las Vegas parano », ouvrage passablement pimenté d’hallucinogènes divers et de rinçage à l’éther ou commencer par cette biographie qui donnera certainement envie de se procurer une de ses œuvres.
Dommage qu’il n’ait pas eu le temps de goûter à l’Amérique d’Obama et à celle de Trump. Son style fracassé et ses angles suffisamment tranchants pour découper nos méninges en rondelles de salami bien fines, auraient apporté une touche bienvenue au ton si conventionnel de nos infos en continu.
PHB
« Gonzo », une biographie graphique de Hunter S.Thompson. Will Bingley, Anthony Hope-Smith. Editions Nada 18 euros
Je me souviens avoir lu (sous un autre titre ?) « Las Vegas Parano », il y a plus de trente ans (!!!) quand il était paru aux Humanoïdes Associés…
À l’époque, sortaient aussi, chez le même éditeur, « Les Mémoires d’un vieux dégueulasse » de Bukowski…
J’assimile les deux, avec aussi Hubert Selby et « The Last Exit to Brooklyn », à une littérature quand même de second ordre, qui est « dopé » par son côté « légende sulfureuse »…
ça a surtout donné des films (ratés, hélas). Comme celui de Terry Gilliam avec Johnny Depp. Leur « Las Vegas Parano » n’est vraiment pas terrible…
Seul intérêt : avoir fait se rencontre Depp et Hunther S Thompson…
Depp est devenu son grand ami… C’est lui qui a, nouvelle légende, financé son enterrement. On en reparle en ce moment où l’on détaille les dépenses de Depp : il aurait ainsi fait construire un canon spécial disposé en haut d’une tour, comme Thompson l’avait demandé, pour disperser ses cendres au dessus d’Aspen (Colorado).
Coup de l’opération : 3 millions de dollars ! ça c’est Gonzo !
Depp a encore beaucoup dépensé en faisant adapter un autre bouquin de Thompson, « Rhum Express » (tourné par Bruce Robinson, dont il faut revoir le sublime « Withnail and I). Depp y joue Thompson… Le film a été un bide. Comme quoi, l’amitié n’est jamais récompensé…
Depp a aussi finance deux documentaires sur la vie de Hunther Thompson…
Ping : Sur de bons rails | Les Soirées de Paris