Clément Hervieu-Léger exhume de l’oubli “Le Petit-Maître corrigé”, une comédie en trois actes et en prose de Marivaux (1688-1763) qui se joue actuellement salle Richelieu. Cette pièce, écrite en 1734 pour les Comédiens-Français, n’avait curieusement jusqu’ici fait l’objet que de deux représentations dans la Maison de Molière alors que, paradoxalement, l’auteur de “La Double inconstance” y est un des dramaturges classiques les plus joués. Par ailleurs, cette pièce étant rarement montée sur d’autres scènes, le lecteur serait en droit de se demander ce que cache cet oubli.
Serait-ce une comédie de jeunesse non aboutie ? Une œuvre mineure de peu d’intérêt ? Rassurons-le tout de suite sur ce point. Il n’en est rien. “Le Petit-Maître corrigé”, écrite au mitan de la carrière de l’écrivain, n’a rien à envier à d’autres textes bien plus connus de Marivaux, tels “Les Fausses Confidences” ou “Le Jeu de l’Amour et du Hasard”. Il revêt toutes les qualités et le charme du marivaudage caractéristique de son auteur.
Saluons, par conséquent, la curiosité de Clément Hervieu-Léger et remercions-le d’élargir ainsi le champ de nos connaissances. Le metteur en scène avait d’ailleurs déjà présenté ce texte au Musée du Louvre la saison dernière dans le cadre d’un cycle de lectures consacrées au XVIIIème siècle (Cf. Chronique pour Les Soirées de Paris “La lecture de salon remise au goût du jour”.
Si la notion de “petit-maître” n’est plus guère employée de nos jours, nous connaissons certainement tous autour de nous cette sorte de gens. Un petit-maître, nous indique le Larousse, est un jeune élégant aux manières ridiculement prétentieuses. Or, n’avons-nous jamais rencontré de jeunes élégants et élégantes – le terme a son pendant féminin : petite-maîtresse –, aux manières affectées et hautaines, pour qui la mode est le seul credo ? Un terme plus usité certes, mais un sujet intemporel.
De quoi parle la pièce? Le marquis Rosimond – le petit-maître en question – arrive de Paris pour épouser Hortense, une jeune et jolie provinciale. Il s’agit d’un mariage arrangé et Rosimond ne prend pas même la peine de s’informer de sa future épouse. Sa fiancée doit s’estimer flattée, pense-t-il, d’épouser un jeune homme distingué tel que lui. Lors de sa rencontre avec Hortense, il prend celle-ci de haut et se contente de lui demander la date de leur mariage. Vexée, la jeune fille décide de ne l’épouser que si celui-ci change d’attitude à son égard. Elle entreprend donc de le corriger de son arrogance. Là-dessus arrive Dorimène, une ancienne amante de Dorimond – formidable Florence Viala – , qui projette d’empêcher ce mariage. S’ensuit un chassé-croisé amoureux où intervient également un certain Dorante. Les valets ne sont pas en reste dont les comportement et les sentiments sont les répliques de ceux de leurs maîtres. Entre-temps Rosimond est tombé follement amoureux d’Hortense…
La pièce est plaisante, la langue, limpide. On y badine avec légèreté. Le metteur en scène a fait le choix on ne peut plus original de situer l’action à la campagne, en plein air, et de respecter l’époque de l’œuvre. C’est donc en plein champ, sous une lumière dorée, que caracolent les protagonistes dans de somptueux atours du XVIIIème siècle. La scénographie d’Eric Ruf, les lumières de Bertrand Couderc et les costumes de Caroline de Vivaise se répondent harmonieusement. Ces derniers dessinent à merveille les différences de rapports de classe. Ils sont d’une grande sensualité et d’une rare élégance. Les robes d’Hortense, de Dorimène et de la Marquise sont particulièrement réussies et portées avec grâce par les comédiennes.
La Troupe brille par son excellence, comme à l’accoutumée. On ne saurait les citer tous. Adeline d’Hermy est tout simplement épatante dans le rôle de la suivante Marton. Elle délaisse ici le registre de la jeune première pour en aborder un nouveau dans lequel on ne la connaissait guère et où elle excelle tout autant : la suivante sensuelle et espiègle. Ses éclats de rire sont dignes de ceux de Micheline Boudet en son temps. Christophe Montenez, dans le rôle de Frontin, est méconnaissable et tout aussi surprenant. Florence Viala, belle et mutine, incarne une Dorimène dont les répliques non dénuées d’humour font mouche. Le jeu de Dominique Blanc, même dans un second rôle, est d’une grande finesse. Quant à Loïc Corbery, toujours très juste, son personnage est tellement insupportable que l’on attend avec impatience la correction annoncée par le titre.
La vieille bataille Paris-Province, toujours bien ancrée dans notre société, ne date pas d’hier. Preuve en est, s’il en faut, ce spectacle. Et il n’est pas désagréable de voir de jeunes élégants de la capitale perdre de leur arrogance face à la pureté des sentiments de jeunes beautés provinciales. Une belle leçon qui fait du bien à l’âme.
On ne saurait que vous recommander ce “Petit-Maître corrigé”. A notre époque où l’heure est à la gravité et aux discours d’actualité, un peu de légèreté, de badinage amoureux est on ne peu plus dépaysant. Et qui d’autre que la Comédie-Française pourrait aujourd’hui monter un “nouveau” Marivaux à l’ancienne avec tout le faste que cela sous-tend? Un plaisir dont il serait dommage de se priver.
Isabelle Fauvel
“Le Petit-Maître corrigé” de Marivaux, du 3 décembre 2016 au 24 avril 2017 à la Comédie-Française, Salle Richelieu. Mise en scène de Clément Hervieu-Léger, scénographie d’Eric Ruf, avec Florence Viala (Dorimène), Loïc Corbery (Rosimond), Adeline d’Hermy (Marton), Pierre Hancisse (Dorante), Claire de la Rüe du Can (Hortense), Didier Sandre (le Comte), Christophe Montenez (Frontin), Dominique Blanc (la Marquise) et Ji Su Seong, comédienne de l’Académie.
Marivaux, charmant comme toujours, comédiens bien sûr, décor, lumières, tout y est pour une belle parenthèse hors du temps Place Colette
Et pour les fêtes la Maison de Molière nous abreuve d’un long fleuve rétrospectif … oui, 25 DVD … https://boutique-comedie-francaise.fr/dvd/710-collection-comedie-francaise-vol-2-coffret-25-dvd.html
Bons strapontins ou fauteuils d’orchestre à tous
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