Le roi est mort, vive le cinéma !

Affiche La mort de Louis XIVLe film le plus audacieux sorti ces derniers temps est sans doute celui d’Albert Serra, « La mort de Louis XIV ». On est tout de suite fixé sur le sujet, un peu étonné aussi, quoique… Du réalisateur Catalan, on connaît le goût pour les personnages mythiques, littéraires ou historiques, de Don Quichotte « Honor de Cavalleria » à Casanova « Histoire de ma mort », ainsi que sa détermination à réaliser un cinéma hors mode dont le rythme lent, voire l’immobilisme, s’oppose à l’agitation contemporaine.

Né en 1975, Albert Serra a tout son temps. Artiste féru de littérature, ses succès critiques lui permettent de poursuivre son exploration des plus grands paradoxes comme ceux de la vie et de la mort et de construire une œuvre très personnelle.

Cette fois, il s’empare de deux mythes, celui de Louis XIV, bien sûr, mais aussi de celui du bien vivant Jean-Pierre Léaud. Au premier, il offre une seconde agonie, alors qu’il est sans doute un des monarques les plus vivants dans l’imaginaire collectif. Du très long règne du Roi Soleil, 72 ans, les deux dernières semaines pèsent peu. Et à ce roi bâtisseur, la grande œuvre, Versailles, confère une réelle éternité. Au second, qu’on appelle désormais le roi Léaud, il offre non pas des funérailles de première classe mais une nouvelle occasion de briller très haut au firmament du 7e art.

Albert Serra filme les deniers jours de Louis XIV dans le huis clos de sa chambre. Autour du lit sur lequel règne encore le vieux roi terrassé par la gangrène, s’affèrent en murmurant médecins et charlatans, abbés et courtisans. On assiste à la confrontation impuissante du plus grand roi d’occident à sa condition de simple mortel. Avec en contrepoint, la juxtaposition des raffinements de l’étiquette de la cour tout comme la préciosité du cristal et de la soie aux réalités organiques du corps. L’entourage du mourant reste un monde d’hommes, seulement troublé par de rares apparitions de Madame de Maintenon, hiératique, et de quelques pleureuses impayables, ainsi qu’au cours d’une scène étrange, du futur Louis XV. A l’enfant peu impressionné, il livre ses derniers conseils : éviter la guerre comme les constructions coûteuses pour soulager la misère du peuple. Leçon retenue !

Au chevet des jambes de sa majesté. © Capricci

Au chevet des jambes de sa majesté. © Capricci

Pour la dimension historique Serra s’est basé sur les Mémoires de Saint-Simon et du Marquis de Dangeau. Pour l’image son inspiration est indéniablement picturale. Le merveilleux travail de Jonathan Riquebourg sur la lumière restitue l’ambiance des clairs-obscurs des grands maîtres du XVIIe tout comme la précision des artistes de Vanités. C’est donc à la lueur des bougies et durant deux heures, que l’on assiste à l’affaiblissement inéluctable du monarque. La douleur prend le dessus mais sans que Serra cède à une quelconque intensité dramaturgique et psychologique. De son propre aveu, il privilégie la banalité de la vie qui s’efface. Dans un décor d’opéra baroque, costumes et tentures rouges, chevelures hirsutes, il préfère jouer une petite musique de chambre. Et Léaud suit parfaitement la partition, juste et sobre, loin du frénétique Antoine Doinel.

Le réalisateur catalan qui jusque là préférait travailler avec des comédiens non professionnels, a fait le grand écart en choisissant une des plus grandes icônes du cinéma français. Au sujet de sa prestation, tous les superlatifs royaux et impériaux ont été attribués à Jean-Pierre Léaud. Rajoutons en une couche (en fan très objective) : il est divin. Il est entouré d’acteurs venus du théâtre comme du cinéma mais aussi des figures du monde littéraire français comme Jacques Henric (en abbé Le Tellier) et Olivier Cadiot (en docteur). Enfin pour incarner Madame de Maintenon, grande bigote devant l’éternel, il a engagé une rédactrice de mode, Irène Silvagni.

Jean-Pierre Léaud en Louis XIV. ©Capricci

Jean-Pierre Léaud en Louis XIV. ©Capricci

Sans doute pas, quand même, en référence à Louis XIV qui a beaucoup soigné son look, pardon son effigie. Et ses nombreux portraits attestent d’un goût prononcé pour l’abondance d’étoffes comme de cheveux. De fait, à aucun moment de son agonie, Louis XIV/J.P. Léaud, ne se sépare de sa perruque. Gigantesque, elle forme un halo grisâtre entre aura divine et coiffe de gorgone. On lit dans les Mémoires du marquis de Dangeau : « Jeudi 10 mars 1701, à Versailles : la goutte du Roi continue ; il se fait peindre l’après-diner par Rigaud pour envoyer son portrait au roi d’Espagne…. »

Ce souci du faste comme de l’image en toutes circonstances rappelle que le monarque jusque dans son intimité était en constante représentation et qu’il l’est resté jusqu’au bout. De fait, on n’oubliera pas la perruque de sitôt, ni les entrailles royales servies sur un plateau à la toute fin. Le film s’achève comme commence celui d’Emmanuelle Bercot, « La fille de Brest » (sur une autopsie). Si les viscères à l’air sont la nouvelle tendance cinématographique, les âmes sensibles ont du souci à se faire. Doit-on y voir une métaphore de l’exhibitionnisme débridé sur les réseaux sociaux ou à la télévision aujourd’hui ? Un selfie de ses tripes étant l’étape ultime de sa propre mise en scène ? Vanitas vanitatum et omnia vanitas… Mais n’accusons pas Albert Serra d’être moraliste, il est surtout un véritable auteur de cinéma. Il a reçu le prix Jean Vigo 2016.

Marie-Françoise Laborde

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Une réponse à Le roi est mort, vive le cinéma !

  1. Pierre DERENNE dit :

    Il est vrai que les viscères, au cinéma, sont de sortie. Mel Gibson nous en sert à foison dans son remarquable film : « Tu ne tueras point ». Elles font partie de la vie et de la mort…

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