Essayer de comprendre pourquoi un ami et confrère avait la passion des tracteurs implique de pousser la porte du Musée du Compa, à Chartres. Haut lieu de conservation de la machine agricole, l’endroit expose une série d’engins parmi les plus anciens. L’ami a disparu voilà maintenant trois ans. Et cette plongée dans le monde déconcertant du tracteur, lui est dédiée.
Nous voilà donc au hasard devant un Farmall type F12 présenté au salon de Chicago de 1939. Sa marque dans son libellé-même, signifiait sa capacité à tout faire. Il pesait une tonne et demie, disposait de trois vitesses dont une pour la marche arrière. Il était taillé pour les moissons d’envergure, à l’échelle américaine. Dans la grande salle du Compa, le Farmall côtoie ses pairs, des plus anciens jusqu’à des plus récents. La bête laisse voir ses entrailles mécaniques qui ne sont pas sans rappeler certaines œuvres du peintre Francis Picabia, passionné de moteurs, mais surtout de compétition. C’est vrai qu’en général la pièce mécanique prise à part a quelque chose d’artistique. Comme l’écrivait John Steinbeck dans « Rue de la sardine » à propos d’un « pignon de renvoi » d’une Chalmers 1916: « Les gens ne peuvent pas se faire une idée de ce qu’un machin comme ça vaudra plus tard! »
Il n’empêche que pour un habitué du Musée d’art moderne ou du Centre Pompidou, une plongée en apnée dans le monde pourtant oxygéné de la machine agricole a quelque chose de rude quoique fortifiant. Heureusement que la librairie du Compa dispose d’un excellent livre intitulé « Tracteurs de A à Z », ouvrage qui au passage confère à son acquéreur une certaine prestance dans le train de retour vers Paris. Oncques ne saurait déranger un tel voyageur absorbé par cette matière extrême.
En feuilletant ce livre on s’attend à tomber sur un panel de labels qui évoquerait la ruralité dans son expression la plus mécanique. Bien au contraire: Ferrari, Lamborghini, Porsche, toutes ces marques plus connues sur les circuits de courses automobiles ont également été des fleurons de la machine agricole. Savez-vous qui était David Brown par ailleurs? C’est lui qui a donné ses initiales aux fameuses Aston Martin « DB », dont celle de l’illustre James Bond. Eh bien David Brown a également fabriqué des tracteurs dont le Cropmaster de 1949 qui traçait de bien beaux sillons à l’aide d’un moteur de 34 chevaux.
Il faut également compter dans cet inventaire qui ne se répètera pas si souvent dans Les Soirées de Paris et donc il faut en profiter, le Français Gaston Fouga. Dit ainsi cela n’évoque pas grand chose aux amateurs de littérature ou d’art abstrait. Gaston Fouga a été le concepteur du Fouga B, un tracteur de trente chevaux vapeur mais surtout du Fouga Magister, un merveilleux avion a réaction qui a fait les beaux jours des élèves pilotes et de la Patrouille de France. Ainsi, par extrapolation, le pilote du tracteur Fouga B pouvait secrètement rêver de chandelles, vrilles et autres loopings au milieu d’un champ de pommes de terre.
Parmi tous ces inventeurs épris de de modernité et de l’agriculture à grande échelle, il ne faut pas oublier Emile Bobard à qui l’on doit le tracteur « enjambeur » lequel permettait notamment à son utilisateur de passer au dessus des rangs de vigne sans les abîmer. Et ce serait aussi faire injure à Lucien Babiole que d’oublier son « Super babi » à moteur de 203 Peugeot, tellement solide qu’il l’avait garanti à vie.
Tout ça pour rappeler qu’un funeste jour, il y a trois ans maintenant, un confrère de l’AFP avait été brutalement arraché à l’attraction terrestre. Et l’un de ses amis avait alors révélé à l’assistance endeuillée, qu’une des passions secrètes de Laurent Houssay était le monde du tracteur, en bon terrien qu’il était. A la profonde tristesse que sa mort avait provoquée, s’était donc ajoutée une nouvelle un peu baroque. Laquelle nous permettait d’imaginer Laurent en circulation au milieu de la voie lactée, sur une machine équipée d’un pot d’échappement vertical, moissonnant pour toujours les poussières d’étoiles. Cela nous console toujours un peu.
PHB
Musée du Compa, Pont de Mainvilliers 28000 Chartres
A propos de Laurent Houssay
« Tracteurs de A à Z », Editions E/P/A
Pour prolonger la visite, je conseille la lecture d’ « Éloge du vieux tracteur » de Jean-Michel Linfort (Cheminements). Il sait peindre les « vieilles gloires des champs » et en parler comme personne…
original et sympathique homage !
Jean-Michel Linfort ? Il est aussi peintre, je crois… et ancien sous-préfet (aux champs)… ?
En tout cas, merci Philippe de m’avoir fait connaître Émile Bobard et Lucien Babiole…
Vive le secteur primaire qui nous change de certaines primaires par trop primaires